Il y des livres qui nous changent, qui nous envahissent, qui nous tourmentent, qui nous seduisent, qui nous rendent un peu fous, qui nous desorientent, parcequ'on se rend compte qu'on s'y est mis sans guide, sans precaution, avec une certaine innocence, un certain amour pour les idees de l'auteur et ses livres deja lus, deja savoures, deja assimiles. " Zabor ou les Psaumes " est un tel livre pour moi. Je me trouve au milieu de son aventure complexe, a la page 182. Je me sens un peu desorientee, mais aussi encouragee par le fait que je commence a me sentir un peu moins intimide par l'univers solitaire de Zabor, je sens une sympathie profonde pour sa tante Hadjer et sa capacite feroce de maintenir son independence et de proteger Zabor de la cruaute de monde, orphelin rejete par sa famille. Je me sens comme sur une expedition, ou la patience est ma lampe de poche, dans ces moments et heures ou les pages m'echappent dans les tenebres de leurs multiplicites et intentions. Je ne suis pas etrangere a l'isolation et le mepris que souffre un exclu du clan familial, dans mon cas le mepris n'est pas de la cote de mon pere, comme dans le cas de Zabor, mais de la part de la famille de ma mere, pour le crime impardonnable de ne pas vouloir me subjuger, de vouloir suivre mon destin et ma vie a moi. Zabor est tres touchant comme personnage litteraire, parceque il partage l'histoire de sa solitude petit a petit, et son intelligence considerable est comme un manteau qui lui protege, et qui lui donne l'impression d'etre une personne arrogante et froide, qui se cache par caprice dans son monde cerebrale, et cela prend du temps pour apprecier son courage, sa determination d'essayer de s'echapper de l'ile isole qu'est son village au bord de l'immensite du desert. Mais la facon dont parle Zabor de sa tante Hadjer, avec pitie pour son sort de vielle fille avant d'avoir veillie, et avec amour pour son role de mere envers lui, rend evident que Zabor a une capacite enorme pour l'amour, qui lui echappe par un destin d'hero marginal, qui sait survivre l'abime de sa solitude par son intellect profond qui lui donne la volonte et le courage. Cet oeuvre de Kamel Daoud est tres difficile, le texte est multi- dimensionnelle, comme une textile riche, aux dessins elusifs et caches, qui exigent beaucoup de respect et une lecture lente, silencieuse, loin du bruit et distractions. Lire ce livre est un engagement et entreprise serieuse, dans lequel l'auteur revele aussi le plus profond de son ame, de son intuition creative et de ses experiences intellectuelles. " Zabor ou les Psaumes " est une oevre unique, qui ne cede pas a une lecture distraite ou de mode, juste pour impressionner le monde et pouvoir dire qu'on a lu le dernier livre du genie litteraire et journaliste qui a le monde sous la trance de ses perspectives audaces. Zabor est une odyssee, et je me trouve au milieu de ce voyage turbulent qui me fait comprendre que ce qui nous unie comme etres humains n'est pas toujours aussi fort de ce qui nous separe quant a histoire, culture, langue, moeurs, reves et desirs, mais, ce qui est important c'est de faire un effort honnet et continu, comme le fait Zabor, qui s'identifie le plus avec le perroquet de Robinson Crusoe, Poll. J'apprecie la franchise de Kamel Daoud, ce desir passionne de vouloir comprendre le monde dans toutes ces cruautes et trahisons, et son desir de tourner vers un horizon ou le passe n'est pas nie, ni mepris, mais compris, pour pouvoir quitter l'le de l'isolation et tous ces maux hereditaires d'une histoire traumatique qu'a souffert l'Algerie, pour essayer d'embrasser les possibilites d'un futur ou l'espoir a une chance.
Face a ce livre, je me sens comme dans une cave enorme, de tenebres et de lumiere, qui parfois me fait peur, qui parfois me decourage, comme l'histoire meme de l'Algerie, mais que je veux comprendre, malgre le risque que je prends comme lecteur etranger, blanc - flamande et francaise de la part de ma grandmere paternelle, donc, coupable par definition - parceque je sens une intelligence, une passion, une richesse d'ame et d'esprit si profonde dans l'histoire de l'Algerie que je ne veux plus la perdre de vue, ni aujourd'hui, ni demain. Alors, je vais continuer avec ma lampe de poche a explorer cette cave fabuleuse qu'est devenu pour moi la lecture fascinante, troublante, agonisante de Kamel Daoud : " Zabor ou les Psaumes ", jusqu'a la deniere lettre de la derniere page.Trudi Ralston
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