Le monde visible est complexe, il n'y a aucun doute, mais le monde de nos pensees, ou marchent en images surrealistes en architecture et circonstances, nos souhaits et reves la nuit, se manifeste parfois aussi de facon plus irreelle, dans le silence meditatif. Pour moi, c'est le silence des matins, surtout en printemps et ete, quand les brises legeres annoncent l'arrivee des chants des oiseaux, des cheveux des arbres avec leurs nouvelles couronnes de feuilles vertes fraiches, qui se melangent leurs notes avec les melodies des carillons eoliens qui pendent sous l'avant - toit de la maison. J'aime beaucoup la solitude tranquille le matin, quand il y a une aura un peu solemne dans le jardin, comme si toute sa flore et faune reflechit en silence, sur le mystere qu'est etre. Pour une personne sociable comme moi, qui aime le dialogue, la communication, l'exploration historique et artistique, devoir apprendre et souffrir de longues annees d'isolation et silence, manque de famille et amities compatibles, ce fut un dur apprentissage, mais qui m'a permis des racines spirituelles - creatives profondes, qui ont su s'exprimer, grace a la Kabylie, dans la langue de mes poemes, mes articles et mes livres depuis son accueil en 2017. Entre 2007 et 2017, mes poemes et articles et ma memoire "Lioness in Exile" de 2012 - 2015, sont ecrits en anglais.
Un des guides le plus tenace, et exigeant, dans cette odysee de reconciliation avec ma vie, le temps est le plus stricte, le plus inflexible. En meme temps, ses exigences avec les annees, avec la patience, se sont adoucies, et il y a ces moments sublimes quand le temps m'explique ses lois, ses demandes. Travailler a grande distance pour realiser mes livres, les ecrire, les publier, dans cette collaboration entre la Kabylie et ma maison ici a Olympia, a l'autre bout de la terre, m'apprend de voir le temps comme un adviseur, autant qu'un adversaire, car le temps et la distance peuvent etre un defi considerable. Je ne peux meme pas m'imaginer comme se serait, de travailler avec une personne qui vit dans la meme ville, la meme wilaya, province, ou etat, le meme pays, le meme continent que moi. Huits ans deja de traverser ce pont de 9000 km pour chaque poeme, chaque article, chaque livre ecrits pour ma muse Berbere en Kabylie. Il y a des moments ou cela est presque insupportable. Mais, comme j'ai l'esprit resistant, on pourrait dire, tete - dure, comme me le disent mon mari et mon fils, ce defi de la distance m'apprend d'ecouter avec beaucoup d'attention, les indices du monde parfois invisible, et pourtant tres riche, du temps dans l'espace, dans le silence. Je pense dans ce sens a l'araignee, qui sait fabriquer le fil le plus resistant sur terre, plus fort que l'acier. Sa soie on essaie dans le monde des sciences de copier sa force. Pourtant, quand on voit cette soie blanche, quand on la touche, elle parait si petite, si discrete. Ainsi est le temps pour moi maintenant: resistant, mais flexible, possedant une sagesse dans une voix audible quand on arrete de resister ses dures exigences, son enigme de sphinx imperturbable, implacable. Si on trouve, dans ces moments d'epreuve tortureuse que le temps sait imposer quand ses chaines refusent de bouger, de nous rendre la liberte, si on trouve la fierte, le courage, l'audace de lui affronter et de ne pas fuire la douleur au coeur et l'ame que le temps et son regne reclame comme son droit, sur le chemin imprevisible, capricieux, du destin, une voix s'y entend, petit a petit, un mot a la fois parfois, mais clair, resonnant, qui permet entree au monde interieur, spirituel de la nature, de l'inspiration, de la sagesse, de la raison, de l'amour et ses contradictions. Ce matin, j'avais l'impression, dans le silence riche du jardin, que l'esprit des personnes, leur presence, des personnes cheres a mon coeur, etait si proche, que comme une seconde peau, elle glissait dans la mienne, pour habiller dans sa soie transparente, mon esprit, et pour des moments precieux, cette presence m'accompagne, chaude, et respire son souffle a cote du mien, dans le rythme d'un coeur grand uni, ouvert, libre. Le temps a pour moi, depuis l'introduction a la richesse ample de l'esprit et coeur kabyle, ces beaux, intimes moments de dialogue inaudible au monde exterieur, et qui me parle dans la langue complexe, en images, en gestes, en symboles venu de si loin, mais tres visibles pour mon esprit, en sensations, en emotions tres tactiles, que le temps et ses exigences, ses adjudants que sont la distance et son chagrin, ce temps possede a la fin, une charite rare, une qualite magique, au - dela de mots ecrits, dits a haute voix: ce que tu souffres pour les arts, leur survie, pour ton amour pour la Kabylie et ta muse, dans cette collaboration qui te demande toute ta resistance, toute ton energie creative, est cette meme blessure qui te gueris, qui te donne les ailes au phenix en flammes, en eternelle renaissance avec chaque soleil qui se couche, chaque lune qui se reveille. Parfois, les ponts les plus resistants sont ceux que personne ne voit, car on les traverse dans l'espace invisible de notre monde interieur.
Trudi Ralston
-" Tu entendras le tonnerre et tu te rappelleras de moi, Et tu penseras: elle chercheait les tempetes. Le bord du ciel aura la couleur du cramoisi dur, Et ton coeur, comme ce fut le cas alors, prendra feu." -
Anna Akhmatova ( 1889 - 1966), de son poeme "You Will Hear Thunder" du livre de traduction de ses poemes en anglais, "The Complete Poems of Anna Akhmatova." (1990). La traduction en francais des vers que je partage de ce poeme dans cette collection en anglais, traduit du russe, est la mienne.
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