Saturday, June 20, 2020
Ouverture avec Nature Morte : Lettre Ouverte a un Artiste Berbere - pour Nacer Amari
Je m'etais levee sortant d'un reve qui m'avait trouvee face au son percant de la sonnette. Son son etait insistant, comme le font les enfants du voisinage qui sont impatients de recuperer leur balle qu'ils ont lancees a notre jardin, et que je leur trouve avec un sourire amuse en leur souhaitant une partie de fooball agreable. La maison de mon oncle Frans me donnait l'impression d'etre une peinture, peinte avec un pinceau trempee dans les couleurs d'un doux silence, un silence qu'on pouvait seulement trouver a travers la porte modeste de l'entree. Je me rappelle la porte etait verte, un vert de feuilles de la foret en ete. La maison de mon oncle fut au bord d'un village d'artistes, Sint Martens - Latem, dans la partie est - flamande de la Belgique, pres de la ville universitaire de Gent, et etait une petite fermette que lui et des amis avaient convertie dans une maison et studio tres agreables et accueillants. J'y ai passee beaucoup de temps comme adolescente, en compagnie de mon oncle et sa femme Ina, qui etait une photographe professionnelle. Cela me fascine le lien entre ce que j'ai appris de mon oncle quant a l'art et votre photographie et les souvenirs de ces annees et experiences importantes intellectuelles pour mes inspirations et aspirations comme poete et ecrivaine. C'est mon oncle qui m'a appris a dessiner et peindre. Ces influences artistiques du surrealisme, avec des touches de romanticisme, comme dans ses aquarelles, et du mysticisme aussi, un mysticisme lie a la nature et ses phenomenes, me reviennent dans votre photographie, et reveillent comme des scenes de theatre, les impressions qui ont formees mon identite litteraire - intellectuelle, et qui ont en fait dessinees les couleurs, les parfums de mon ame, de mon coeur. Mon oncle est mort en 1981, a l'age de 61 ans, quand j'avais 23 ans, mais sa presence m'est restee, et sa personne me visite comme jamais avant maintenant dans les photos de votre art, dans l'esprit tranquil de votre amitie, de votre energie. La fenetre ouverte chez vous, en Kabylie, a Aokas, est devenue un portail de souvenirs, d'espoirs, de partages, d'inspiration aussi. Je me sens comme etre sur scene d'un passe qui me permet entree au present et au futur. Je vais commencer le travail sur une broderie style surrealiste, comme je me sens inspiree par les photos de vos nature mortes de poursuivre ce desir d'explorer le projet d'une broderie dans ce style, comme ce fut le premier style de peinture et dessin que mon oncle m'a appris quand j'avais 16 ans. Les natures mortes de vos photos sont telles des scenes de theatre, qui me permettent participer dans des moments importants de mon education et formation intellectuelle et artistique, et qui m'invitent de joindre la narration. J'ai toujours voulue etre part d'une seance photo, ou je serai permis de m'exprimer toutes les emotions supprimees depuis mon depart pour les Etats Unis, toutes les nostalgies de mon enfance, de mon adolescence, de la transition de fiertes blessees, de solitudes survecues obstinement. Une seance de photo ou je mets des costumes, des chapeaux, des foulards, et ou j'essaie d'exprimer la profondeur de mes joies et peines, et ou etre permis de mettre une tenue kabyle serait le plus beau moment, comme c'est la culture berbere de la Kabylie qui m'a donnee la cle de la melodie, des notes de mon ame de poete et ecrivaine naufragee. Vos portraits d'enfants kabyles touchent une sensibilite tres reelle, d'une blessure penible que la medicine de l'hospitalite kabyle, la richesse de son ame et de son coeur sait guerir, sans pretension, sans urgence, avec beaucoup de sagesse et patience.
Le poete Boheme - autrichien Rainer - Maria Rilke etait un des poetes preferes de mon oncle, qui souvent me parlait de ce genie qu'il admirait. C'etait impressionnant pour une fille de 16 ans d'etre saturee de poemes qui traitent de l'immortalite, de l'art, de l'amour, de l'amitie, des dilemmes de l'existence, des mysteres de l'univers, dans un langage riche en symbolisme, en melodies, en subtiles contradictions et enigmes. Devant votre photographie, devant le silence de vos natures mortes, j'entends a nouveau la voix de mon oncle, les resonances des poemes qui m'ont infusees le souffle, l'esprit avec une curiosite passionnee pour la litterature, pour la philosophie, pour la peinture, pour la musique, pour la synesthesie artistique, pour la photographie, car elle etait la visualisation de tous ces poemes, de toutes ces passions intellectuelles.
Mes longues annees aux Etats Unis furent comme un long sommeil, une transe, un traume, qui etait une anesthesie pour mon inspiration, pour mon etre de poete, d'ecrivaine, et tout au fond de mon coeur, il y avait la memoire des melodies qui m'avaient definies, et en Kabylie, avec ses montagnes, ses rivieres, ses ciels immenses, son tresor en flore et faune, et son esprit rebelle et fiere, sa capacite pour la charite et le partage a travers la camaraderie et la famille, la richesse de sa culture, de son histoire heroique, les melodies me sont revenues, a travers l'art de ses photographes, comme Djamil Diboune, l'Ulysse berbere, de Katia Djabri, de Kurt Lolo, et de votre art, Nacer Amari, de cette fenetre ouverte chez vous, avec la fraicheur de ses perspectives, sa brise et lumiere accueillante, qui a a l'interieur tous les instruments, tous les pinceaux, toutes les tenues, pour me permettre a apprendre a nouveau ma langue d'ame et coeur, mon identite litteraire, poetique, pour m'apprendre de m'exprimer a nouveau comme et qui je suis. Cela me donne envie d'hurler comme une lionne, une lionne flamande qui a retrouvee finalement sa famille, cette fois pas en Flandes, pas au Texas, pas a Washington State, mais en Algerie, en Kabylie, ou la porte et la fenetre ne sont pas fermees, pas indifferentes, mais grandes ouvertes. Rainer - Maria Rilke a dit : " Tout dans la nature fleurit et grandit a sa maniere, et etablit sa propre identite, y insistant a tout prix, contre toute resistance. " Il y ajoute : " C'est bon d'aimer, car aimer est difficile. " Ces deux observations expriment telles une synthese ce que signifie pour moi la Kabylie, ma famille berbere, et mes collegues photographes en Kabylie : ils sont identite et amour. Une identite qui reconnait cette faim pour comprendre ce que lui est arrivee a l'Algerie, a la culture berbere, a la Kabylie, et cette faim, ce besoin de comprendre ce qui m'est arrivee, et de comprendre a un niveau tres profond, tres reel, tres concret, que la Kabylie, et sa famille, et ses artistes comprennent, cette urgence de reclamer, d'insister sur l'identite, la dignite, ce droit au bonheur, a l'esprit, au coeur. La camaraderie, la tendresse, le partage intellectuel artistique sont une piece de theatre magnifique ou je m'introduis, ou la Kabylie s'introduit a moi, a mes poemes, a mes ecrits, et ou je m'introduis a elle, dans une rencontre pas comme une autre, une symphonie de joie, de reconnaissance, d'espoir, d'amite, et oui, d'amour, un amour immense comme la terre et le ciel memes.
Dans la collection " Lettres a un Jeune Poete ", Rainer - Maria Rilke dit :
"C'est clair qu'on doit faire confiance a ce qui est difficile; tout dans la nature fleurit et se defend de toutes manieres que c'est possible, essaie d'etre soi - meme a tout prix, et malgre toute opposition. On sait peu, mais on doit faire confiance en ce qui est difficile est aussi une certitude qui ne nous abandonnera jamais; c'est bon d'etre solitaire, parceque la solitude est difficile; que quelque chose soit difficile est une raison de plus de le faire. "
J'ai vecue une vie entiere construite de solitude, de solitudes presque insupportables, et dans les pires moments, l'espoir de retrouver le chemin vers mon etre, vers mon identite, telle que j'ai decrit cette agonie dans mes collections de poemes en anglais, " Solitary Flight " , " Vol Solitaire " et " Through the Center ", " A Travers le Centre ", je me suis battue comme une lionne pour la survie de mon etre, de mon coeur de poete, et ayant traversee ce desert immense que fut une vie entiere d'une solitude au gout sec du sable de l'amertume et le chagrin, mon petit radeau tetu est arrive sur les rives de l'Algerie, de la Kabylie. Pirate naufragee, egaree, sauvage et mefiante par chagrin, par pertes, les montagnes, les rivieres, le soleil et la lune de l'Algerie m'ont accueillies, avec les sourires, la chaleur d'une grande famille berbere, d'artistes uniques et sincers, m'ont reveilles avec l'orquestre de leur camaraderie, de leur respect, de leur interet, de leurs propres peines, solitudes et regrets, le coffre au tresor ou m'attendaient toutes ces annees plus tard, mon ame, mon coeur, sain et sauf dans les mains tendres et patientes de cette etoile du Nord qu'est pour cette poete flamande - americaine la Kabylie, avec sa fenetre grande ouverte, avec ses melodies, ses silences savants, ses sourires, ses danses.
Trudi Ralston
Les references a la poesie et prose de Rainer - Maria Rilke ( 1875 - 1926 ) sont de la collection " : Lettres a Un Jeune Poete " de 1929, une collection de lettres dediques a un ami poete, Franz Xaver Kappus, qui a l'epoque avait 19 ans, publiee originalement en allemand, a Leipzig, sous le titre " Briefe an einem jungen Dichter. "
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