C'est une observation poetique, l'idee que parfois dans les moments les plus silents, qu'on a la chance d'entendre des notes et leurs melodies d'un chant et son message qui autrement s'aurait perdu dans les pas distraits du quotidien et ses exigences. Un portrait en noir et blanc du 15 fevrier 2025 du photographe d'Aokas, Nacer Amari de Tassi Photographie, a ouvert la porte vers une decouverte artistique - philosophe ne pas attendu, ne pas meme apercu, jusqu'aux heures de recherche que son portrait "Sinty" a su provoquer avec pas mal de consternation joyeuse et surprise de ma part. J'avais l'impression de me trouver au rebord d'un tout nouveau paysage intellectuel quant a l'impacte de l'art de sa portraiture du photographe kabyle, et de notre collaboration creative ces dernieres 6 annees. Ce portrait, Nacer Amari l'introduit avec une paucite de mots, qui cache la gachette irreversible qu'allait produire l'effet de son protagoniste: "Pour mon portrait "Sinty", ce sera tres court: c'est un collegue de travail, calme, dynamique, et ruse." Le portrait en noir et blanc en fait montre le visage et son energie decisive, d'un homme qui maitrise soi -meme, qui observe avec soin avant de reagir. C'est un portrait qui a des traits naturalistes, ce mouvement moderniste avec des echos du surrealisme, de l'impressionnisme avec ses racines trempees dans le monde des deux guerres mondiales, de 1914 - 1918 et 1940 - 1945, et les cicatrices encore visibles aujourd'hui des horreurs et leur heritage tragique qu'on parait etre prets a repeter il parait sans aucune hesitation. Un des artistes que "Sinty" apporte avec l'appel de son regard imposant, est le peintre belge d'ascendance anglaise -flamande, James Ensor (1860 - 1949), de qui sa vie et sa philosophie artistique fut marquee par les deux guerres mondiales, et les suivants elements surrealistes de ses portraits hallucinants, ou il unit le style de l'impressionnisme et ses lumieres brillantes avec le monde interieur du style naturaliste, qui allait culminer dans le surrealisme. James Ensor se concentre dans ses auto - portraits fameux, comme "Auto - portrait avec Masques" de 1899, sur l'expression du regard, qui est une invitation hypnotisante d'explorer les figures grotesques qui lui entourent dans un tableau carnavalesque de visages avec des masques, ou s'efface la ligne entre le reel et le surreel, aussi pour l'artiste, qui ne porte pas de masque, juste un chapeau aux plumes et fleurs, qui lui permet de se camouffler dans la foule effrayante qu'il frequente dans cette scene ou le grotesque est roi. James Ensor etait connu pour son audace artistique, au niveau socio - politique, et avait une fascination pour les masques. Dans son studio a Oostende, en Flandes, ou il a vecu toute sa vie, il prenait l'habitude d'habiller des squellettes - mannequins et de leur mettre des masques pour ses peintures, ce qui lui permettait de peindre ses visions artistiques avec beaucoup de liberte creative. L'effet grotesque de cette mise en scene, devint une signature de son art: le grotesque avec ses implications du bizarre, de la deformation, de l'inquietant, du degoutant aussi, et du choquant, qui a pris les critiques de l'art a l'epoque d'apprendre de comprendre, de digerer, et a la fin, apprecier, car James Ensor a su etablir une renommee mondiale, avec ses peintures dans les musees du monde, de New York a Los Angeles, de Paris a Londres, de Bruxelles a Cologne. Selon le peintre belge contemporain qui a une reputation internationale, Luc Tuymans (1958), l'oeuvre de James Ensor s'occupe d'explorer la complexite morale, specifiquement la co - existence du bien et du mal, qu'il sait rendre visible avec la richesse et le moyen d'un element ancien et durable jusqu'a nos jours: le grotesque.
Le grotesque comme element artistique a une histoire volumineuse et de grande importance, de qui ses origines remontent a l'Antiquite, specifiquement un style extravagant romain, re - decouvert et re - introduit vers la fin du XVieme siecle. Le mot grotesque se derive du mot italien "grottesca", qui remonte a "grotte", apres la decouverte de fresques impressionnantes de figures bizarres dans les foules archeologiques d'une villa de l'empereur romain Neron (37 A.D. - 68 A.D.), sa villa "Domus Aurea", "La Maison Doree", qui avait ete enterree dans un enfouissement pour 1500 ans. Avec le moyen de la gravure, le grotesque apparait au XVieme siecle ensuite dans l'art et ses expressions, de l'Espagne a la Pologne, et dans les XVIIieme et XVIIIieme siecles, le grotesque trouve une influence ample dans la science des monstres et l'experimentation artistique : la teratologie, prevalent dans les mouvements du Barqoue et son antecedent, la Renaissance. Dans la periode victorienne, le grotesque s'exprime pour la plupart sans l'elegance et sans l'extravagance stylistique anterieure, sous l'influence d'une moralite bourgeoise stricte et regressive. L'integration du grotesque dans les arts fut une continuation directe de la tradition medievale des droleries decoratives dans les marges des manuscrits comme formule d'illustration ou initiales. Dela, le style du grotesque evolue dans des caricatures plus grandes, comme celles du polymathe italien, Leonardo da Vinci ( 1452 - 1519). Dans le monde de la literature, le grotesque trouve son expression dans les pieces tragi - comiques et la satire, qui a fait observer l'ecrivain allemand - tcheque, Thomas Mann (1875 - 1955), gagneur du Prix Nobel pour son livre "La Montagne Magique", que le grotesque est "le vrai style anti - bourgeois." Le grotesque a ses origines litteraires dans l'Antiquite, dans les oeuvres du genie grecque, Homer ( possiblement du VIIIieme seicle B.C.), de qui on peut trouver des exemples du grotesque dans les monstres de son "Iliad" et "L'Odysee", comme le Cyclope, que doit battre Ulysse. Le grotesque occupe une place aussi dans les livres de l'ecrivain anglais Charles Dickens (1812 - 1870), dans les personnages degoutants qui oppriment les pauvres dans le monde des miseres ouvrieres de l'Angleterre industrielle sous dominance des classes bourgeoises du XIXieme siecle. Le monde du XXieme siecle aussi trouve un champ fertile dans le grotesque dans la litterature dite Gothique du Sud des Etats Unis: l'oeuvre de William Faulkner (1897 - 1962), de Flannery O'Connor (1925 -1964), et du dramaturge Tennessee Williams (1911 - 1983), tous les trois provenant de Mississippi et de Georgia, avec Mississippi l'etat le plus marquant pour l'heritage douloureux de l'esclavage et le racisme irresolu du Sud. Le grand ecrivain algerien, Kateb Yacine ( 1929 - 1989), de qui son oeuvre "Nedjma" continue d'exercer une influence profonde mondialement, avait un respect profond pour le traitement et ses nuances complexes du racisme dans l'oeuvre de William Faulkner. Le grotesque est aussi tres visible dans les livres satiriques de l'ecrivain Jonathan Swift (1667 - 1745), qui aimait beaucoup se moquer des hypocrisies bourgeoises de l'Angleterre de ses jours, et dans l'oeuvre de Victor Hugo (1802 - 1885), et son personnage tragique du bossu Quasimodo, qui est un des heros grotesques les plus celebres dans la litterature moderne. Le grotesque trouvera une interpretation concrete dans les horreurs alarmantes et leur brutalite deshumanisante de la Premiere Guerre Mondiale ( 1914 - 1918), quand le grotesque fait face aux horribles blessures et leurs deformations pyhsiques et psychiques suite des armes fatales, comme les explosions des bombes et des mines terrestres, et leurs amputations qu'en souffraient ses victimes survivantes, une evidence cruelle, exploree dans la poesie du jeune soldat anglais Wilfred Owen ( 1893 - 1918), qui trouva la mort en France dans les batailles feroces de la guerre, a l'age de 25 ans, et de qui ses poemes sur la brutalite du conflit etaient une voix differente des voix entendus en ce moment sur la realite de la Premiere Guerre Mondiale, pour savoir unir une expression poetique a cote de la brutalite grotesque et le prix immense en pertes de vies humaines, comme sa collection " Hymne d'Une Jeunesse Perdue."
C'est le moment maintenant d'introduire le centre critique du but de cet article, sa raison d'etre, pour ainsi le definir: comment s'unit le portrait "Sinty" du photographe kabyle Nacer Amari aux mondes litteraires des ecrivains russes Fyodor Dostoevsky (1821 - 1881) et Mikhail Bakhtin (1895 - 1975)? Le portrait "Sinty" sait insinuer de facon magistrale, une influence de naturalisme, et ses liens avec l'expressionnisme et dela le surrealisme, comme dans les portraits et auto - portraits du peintre belge James Ensor, ou domine un element fort du grotesque, comme on a su observer dans l'introduction de cet article. Mais le regard dans le portrait "Sinty" implique une energie irressistible, valorisante, qui inevitablement m'a menee vers une exploration historique du mot "grotesque" et ses antecedents et influences y compris modernistes, ce qui m'a mis sur la piste d'un des genies de la litterature russe: Fyodor Dostoevsky. Quelque chose dans le regard percant, presqu'intrusif, resolu du protagoniste "Sinty", m'a mis sur la piste de l'element important, rebelle du grotesque, et je me suis trouvee devant l'oeuvre de monumentale importance de l'ecrivain russe qui a defini de facon cathartique le conflit moral, et qui a attiree l'attention intellectuelle du philosophe russe Mikhail Bakhtin. La renommee continue de Mikhail Bakhtin se centre sur sa notion de "l'acte du dialogue", qu'il a su definir et trouver dans les themes et personnages des livres de Fyodor Dostoevsky, et qu'il a unis dans un oeuvre "Problemes des Poetiques de Dostoevsky" de 1929, apparu finalement en publication en 1963. C'est dans cet oeuvre analytique que Mikhail Bakhtin, qui etait vu avec mefiance par les authorites russes, introduit l'idee original de ce qu'il decrit comme "infinalisabilite" et qu'il explique ainsi: "Rien de definitif a pris place deja dans le monde, le mot final du monde et sur le monde n'est pas encore dit, le monde est ouvert, libre, tout est encore dans le futur et sera toujours dans le futur." Donc, sur un niveau individuel, ceci signifie qu'une personne ne peut jamais etre definie purement exterieurement: la capacite de ne jamais etre enfermee par les objectifications des autres est essentiel dans la conscience subjective. Malgre que la finalisation externe (definition, description, explication causale ou genetique, etc. ) est inevitable et meme peut - etre necessaire, ce ne peut jamais etre la verite totale, vide d'une reponse vitale. Mikhail Bakhtin est suspecte de ce qu'il appelle la tradition monologique de l'Occident, qui cherche de finaliser l'humanite et les etres humains individuels, de cette facon. Il postule que Fyodor Dostoevsky ecrivait toujours en direction contraire de facons de penser qui transforment les etres humains dans des objets (scientifiques, economiques, sociaux, psychologiques, etc), des cadres conceptuels qui enferment les gens dans un cadre extraterrestre de definition et causation, les privants de la liberte et de la responsabilite. Dostoevsky presente ses protagonistes toujours sur le seuil d'une decision finale, a un moment critique, a un moment de crise, a un tournant infinalisable et inpredeterminable pour leur ame. La carnivalisation est un terme qu'utilise Mikhail Bakhtin pour decrire les techniques qu'il utilise pour desarmer cet ennemi chaque fois plus omnipresent et de rendre possible un vrai dialogue intersubjectif: ce concept suggere un ethos ou les hierarchies normales, les roles sociaux, les comportements propres et les verites presumees sont corrompues en faveur d'une "joyeuse relativite" de participation libre dans le festival. Le carnaval, donc, le grotesque, avec l'emploi de sa dissolution temporaire ou un revirement de convenances, produit "la limite de situations ou des individus divers se rencontrent sur un pied d'egalite, sans les contraintes oppressives de l'objectification. Dans le carnaval, les opposites s'unissent, se voient, sont refletees l'un dans l'autre, se connaissent et se comprennent mutuellement." Bakhtin voit la carnavalisation dans le sens d'un principe fundamental de l'art de Dostoevsky: amour et haine, foi et atheisme, nobilite et degradation, amour pour la vie et auto - destruction, purete et vice, etc. :"Tout dans son monde vit sur la frontiere meme de son contraire." Le portrait "Sinty" du photographe kabyle Nacer Amari, une personne au temperament de sensibilites complexes artistiques dans l'expression subtile de ses visions, affirme la conviction du philosophe russe Mikhail Bakhtin, que Fyodor Dostoevsky etait le createur du roman polyphonique, de la vision polyphonique: son but comme ecrivain, comme visionnaire artistique - intellectuel etait d'illuminer la conscience de soi de ses protagonistes, qui chacun et chacune participent sur leurs propres termes, dans leur propre voix, selon leur propres idees, sur eux memes, et sur le monde, Bakhtin appelait cette realite multi - voix "polyphone": "une pluralite de voix independantes et ne pas melees et conscientes, d'une vraie polyphonie de voix pleinement valides, valables", qu'il define apres comme "l'acte de l'echange, de l'action reciproque, entre des consciences autonomes, et interieures infinalisees." C'est cette echange riche, variee, profonde, valorisante, qui se trouve au centre a son tour dans l'art de la photographie de Nacer Amari. Chaque article, chaque poeme, chaque livre - se sera bientot deja huit livres que cette collaboration kabyle - flamande - americaine sait creer - est une affirmation joyeuse, vibrante, libre, de l'energie sincere, polyphone qui unit deux collegues de deux continents divergents, de la part de deux personnes qui vivent leurs visions artistiques sur les frontieres reelles et leurs contraires, et qui ainsi se comprennent et se connaissent la verite de leurs voix, de leur vie. Le portrait "Sinty" et l'etude de son message que son protagoniste a su relever, restera au coeur des efforts litteraires pour cette nouvelle serie "L'Hurlement des Loups du Midi" qui continue l'exploration joyeuse du carnaval et ses celebrations fantastiques que permet a ma muse la photographie a mes livres et mes poemes, l'art visionnaire narratif de mon collegue kabyle, Nacer Amari.
Trudi Ralston
La recherche sur le mouvement moderniste du naturalisme et son influence sur l'art du peintre belge surrealiste James Ensor, et sur l'importance cruciale des oeuvres de l'ecrivain russe Fyodor Dostoevsky, et sur le philosophe et ecrivain russe Mikhail Bakhtin, courtoisie de Wikipedia.