Le monde des reves la nuit est depuis mon enfance un monde que je visite et qui me visite avec grande regularite. C'est un monde de couleurs, de theatres, d'une multitude de personnages, connus et etrangers, un monde qui rappelle souvent aux films de Federico Fellini ( 1920 - 1993), qui avait un interet dans les theories sur les reves du fondateur suisse de la psychologie analytique, Carl Gustav Jung (1875 - 1961) pour la confluence entre le concret et le surreel, un monde de silences, et aussi de voix, de la part de personnes qui m'aident a naviguer ce monde complexe, qui souvent pour moi est une odysee longue et seule, toujours pres de villes pleines de bruit, pleines d'autoroutes, avec moi toujours a pied, invisible a la circulation frenetique qui m'entoure. Souvent dans ces reves intenses, mais heureusement rarement effrayants, je cherche le retour vers mon village natale en Flandes, que je n'ai plus vu en 35 ans maintenant, et sur mes routes je me trouve souvent sur des souks, des marches, avec pleines de personnes charitables, qui essaient de m'aider trouver le chemin, qui me donnent a manger, a boire. L'ambiance au souks est souvent une de carnaval, de fete, ou les gens rigolent, se visitent, et moi j'observe cette energie des marchands de fruits, de legumes, de fleurs, de gourmandises, qu'on m'offre, qu'on me partage. Parmi les foules de gens inconnus, il y a dans ces explorations a pied de mes reves, des personnes connues, parmi elles c'est tres souvent mon pere, qui a disparu en 2008, qui a une certaine distance me suit, pour se rassurer que je ne me perds pas trop dans ce monde flou et incertain qu'est lunivers de mes reves la nuit. L'absence de famille toutes ces annees ici dans ce vaste pays des Etats Unis, qui parait perdre une piece de son ame avec chaque jour qui passe, a fait que je me construis un village de famille dans mes reves, et ceci avec beaucoup de difficulte, car je m'y trouve si souvent toute seule dans une tumulte de personnes inconnues, qui portant sont gentilles, et se demandent que je fais dans leur monde la nuit. Les souks paraissent etre des scenes de theatre, ou tout le monde se connait, sauf moi, et je cherche parmi les personnes disparue de ma famille un visage que je connais, qui me dirait comment trouver mon chemin de retour. Je pense souvent au souk a Ifrane, au Maroc, que j'ai eue la chance de visiter en 2019, juste avant mon sejour en Algerie la meme annee. Ce souk berbere etait une merveille pour moi, et c'etait un des sites ou je me sentais si a l'aise, car tout le monde qui etait la, les marchands, les familles, me disaient bonjour, et je me sentais acceptee, et ce fut une sensation de grande joie, tres emouvante. Je me rappelle a ce papa avec sa famille, sa belle epouse et leurs cinq enfants, et il m'a toleree que j'admirait sa famille, et quelque part il a compris mon emotion, il a compris que pour moi ce bonheur d'appartenance, culturelle, identitaire, cette fierte, cet heritage, m'etait perdue il y a longtemps. Je me rappelle encore son regard, ce melange de comprehension et charite, et de fierte aussi, que j'admirais sa belle famille dans leurs brillantes couleurs de leurs habits berberes. Ce souk a Ifrane etait le contraste le plus grand avec le monde des souks dans mes reves, ou les personnes ne me voient que brevement, entre le bruit du va et vient du commerce du jour. Depuis mon sejour en Kabylie en 2019, quand je pense a un chez moi pour mon coeur de poete, je pense a la Kabylie. Elle est ma mere spirituelle, elle est ma famille de coeur, ma muse, ma joie et mon courage. Elle adoucit le monde de mes reves, leurs incertitudes, leurs solitudes, elle est ma voix redonnee, mon identite restauree, elle est la main chaude dans le noir quand le monde precaire de mes reves parfois me pousse vers la torture psychique de cauchemars, ou je dois faire face a des fantomes aux grimaces qui me blessent avec des agonies du passe, que la Kabylie tel le soleil et sa lumiere me chasse, m'enleve, elle est l'esprit gentil, qui m'embrasse, me guerit les peines. Je crois que le coeur berbere de la Kabylie est acueillant, pour savoir ce que c'est se battre contre la perte de sa culture, de sa langue, de sa terre, de sa mythologie, de sa famille aussi, suite d'emigrations comme consequence des ruptures sociales et interieures qu'a laissee des milliers d'annees d'invasions et colonisations brutales. La Kabylie est pour moi tel Chiron, le guerisseur blesse de la mythologie grecque, qui me voit les blessures au coeur, a l'ame, et les soigne, et m'inspire par sa grace, son esprit d'accueill, de patience, de tolerance, de raconter mon histoire et en meme temps elle me raconte sa vie, me partage son odysee ancienne et resistante. Quand la Kabylie me manque, les souks dans mes reves sont pleins de dangers, de tristesses, ils m'entourent avec les fantomes de mes solitudes si durement survecues, et quand la Kabylie m'est proche au coeur, elle y brule comme une flamme rassurante qui m'illumine mes poemes, mon art, mes livres, qu'elle continue a m'inspirer, qu'elle chante et guide a mes cotes, comme un esprit gentil, qui ecoute, qui voit, qui entend, qui aime, qui comprend. Ce poeme est ecrit pour ma Kabylie, pour ma famille de coeur berbere:
Aussi Longtemps
Aussi longtemps, que quand le matin arrive, je vois le soleil kabyle qui me laisse la lumiere de son sourire pres de ma fenetre, je peux tolerer le monde incertain de mes reves la nuit, ou souvent je me trouve, sans le vouloir, sans pouvoir eviter ses ombres, que me laisse son monde avec une nonchalanche surprenante sur mon oreiller apres que part l'ete et ses chants d'oiseaux et grenouilles.
***********
Aussi longtemps, que quand les chimeres de la nuit et ses scenes de theatre s'evaporent quand je me rappelle la chaleur de ton etreinte, qui me dit bonjour, qui me touche le coeur, je peux tolerer ce gout de frisson froid que me laisse la foule du monde de mes reves ou je marche si loin sans jamais arriver nulle part.
***********
Tu es la voix de mes poemes, tu en es leurs melodies, leur courage, leur fierte, ma Kabylie, ma mere spirituelle quand ma mere sur cette terre ne voulait pas de sa fille, qu'elle a obligee de souffrir une enfance seule et une adolescence ne pas permis de fleurir.
***********
Quand je vois la lumiere de tes yeux ou brille la sagesse de milliers d'annees de tolerance, de resistance fiere, quand j'entends ta voix sonore, avec son echo de tes montagnes, de tes rivieres, je sors du monde trouble de mes reves penibles avec une energie renouvelee, avec au coeur cette tendresse, cette grace que tu me laisses comme des roses qui m'accompagnent mes chants, mes espoirs.
Trudi Ralston