L'automne s'avait introduit tout doucement cette fois, au moins on le pensait ainsi, mais d'un jour a l'autre, les temperatures la nuit se sont baissees a moins 3 degres Celsius ( 26 degres Fahrenheit comme on le calcule ici), ce qui est bien rare pour la moitie du mois d'octobre. Les fleurs qui restent se trouvent ainsi congelees la nuit, leur parfum une memoire, d'il y a juste quelques jours avant, quand le soleil donnait genereusement de sa chaleur, avec des apres - midi qui approcheaient vingt degres Celsius. Ce revirrement de la saison automnale vers un hiver qui parait arrivera bien vite cette annee, laisse une sensation etrange, de sentir ce desir de vouloir garder, de resister la perte des senteurs et sons joyeux de l'ete, desquels l'automne normalement fait une transition graduelle, avec ses couleurs riches oranges - rouges - pourpres des feuilles tombees en dessins et textures d'un tapis luxurueux sur l'herbe du jardin et de la foret a l'autre bout de la cloture. Cette sensation de vouloir toucher ce qui s'avaporait si vite de la chaleur et ses senteurs de ce qui restait de la saison estivale, m'a evoquee cette image d'une mousseline de soie, ce tissu fameux transparent, qui nous vient du genie des usines textiles chinois le long de la riviere de Yangtze et de la province de Zhejiang. Ce tissu qui parait chuchoter, quand on le touche, des secrets, des souhaits, des memoires venues des rives lointaines de nos reves, d'images de notre enfance, de ses innocences et experiences maintenant rangees comme des kodachromes nostalgiques aux couleurs rendues en teintes aquarelles avec le passage du temps. J'avais envie de pouvoir toucher cette melodie lointaine interieure qui parfois accompagne la memoire, de rendre tangible cette emotion, comme une belle pierre qu'on trouve un jour plein de soleil dans une riviere en pleine energie de debut de l'ete, comme je me rappelle le faire comme adolescente en vacances dans la region de Tirol et ses montagnes, en Autriche, pres d'Innsbruck, avec mes parents et frere et deux soeurs. Les pierres dans les rivieres brillaient comme des diamants, dans l'eau froide et si claire, des sources naturelles sur les sentiers de nos randonnees dans les montagnes, ou sonnaient la musique joyeuse, des cloches des vaches que les bergers leurs mettaient pour savoir ou les trouver le soir pour les ramener chez eux pour la nuit. Ces beaux souvenirs me visitent parfois avec une intensite emouvante, grace a la Kabylie, et la magnificence du Djurdjura que j'ai pu vivre en 2019, et qui m'a fait comprendre que ces esprits des montagnes de l'Algerie, savaient me rappeler les plus belles memoires de mes vacances de famille quand le monde pour moi n'avait pas encore perdu ses mirages, ses cruelles illusions. Au jardin, il y avait juste deux fleurs pois de senteur roses, de qui leurs petales restaient intactes, et de qui leur parfum doux resistait s'evaporer. Cela m'a fait penser comme c'est beau quand on reussit de transformer une emotion en matiere quoique fragile, quoique tres brevement, de rendre la couche invisible de la tendresse qui habite le coeur dans un toucher tangible, son frisson delicieux, chaud, et de s'imaginer pouvoir la garder dans une petite boite fait du souffle meme de l'espoir, faute d'avoir un objet qui nous rapproche a la memoire de la personne qui nous manque si profondement. Il me reste tres peu de souvenirs de mon enfance et de mon adolescence en Flandres, et la destruction de ma famille de sang a enlevee aussi l'heritage de toute une dynastie d'objets de l'art, de muebles, de peintures, de ceramiques, sculptures, d'albums de photos de grandparents, d'arriere - grandparents, meme de frere, soeurs, et parents. La Kabylie m'a su reveiller les souvenirs les plus beaux: de ma grandmere Celina, de mon pere, de mon oncle peintre Frans, de Nanou Julienne, des voyages heureux et innocents en Autriche, en Provence, en Allemagne du Sud, et les vancances heureuses une annee a la mer a Oostende, quand j'avais 12 ans, et la semaine de decouvertes historiques a Londres et a Paris avec mon frere en compagnie d'amis de nos parents, ou j'ai pris mes premieres photos avec ma premiere camera, une petite Kodak instamatic 133, que je garde comme un tresor precieux, tangible d'une innocence et espoirs d'une autre vie, perdue dans le temps. La Kabylie m'a introduit a mon collegue le photographe Nacer Amari de Tassi Photographie d'Aokas, et mes livres depuis sont la celebration de la richesse de l'esprit et coeur kabyle, et les retrouvailles de l'histoire de ma vie, de ma voix, de mon identite si longuement effacees. L'emotion profonde de reconnaissance, de joie, de tendresse complete envers la Kabylie, cree maintenant cette sensation sublime, d'une mousseline de soie me laissee en abondante mesure, comme je me rappelle le voir dans les magasins de tissu, avec ma grandmere francaise - flamande, Celina Dujardin, qui etait couturiere professionnelle, et m'emmeneait faire les achats pour les robes, manteaux, blouses qu'elle faisait pour ses clientes et toute sa famille, y compris aussi des belles robes pour moi et mes deux petites soeurs, et meme pour ma poupee Isabelle. Elle toucheait toujours les tissus differents, leurs textures, nuances, pour assurer les choix qu'elle decida etre les meillieurs pour les commandes. Cette satisfaction que savait exprimer et partager ma grandmere, quand elle avait trouvee les tissus parfaits pour ses creations, je me la rappelle, quand je pense a la Kabylie, a la joie de la collaboration magnifique avec mon collegue photographe d'Aokas, qui continue d'etre la source abondante des inspirations de mes livres, art et poemes, depuis le debut de 2020. La sensation de la mousseline de soie, est ce que je sens, la memoire de son toucher, et le desir, cette envie envoutante, chaude, de vouloir garder ainsi la douceur, la fierte, sa joie, de me savoir unie au coeur de la Kabylie, ses chants, son histoire, son esprit resistant, accueillant, dans cette petite boite imaginaire, precieuse que je garde au fond de mon coeur, qui contient l'amour pour l' Algerie, qui m'a sauvee la vie de poete, du neant de l'oubli, de l'exile, de la torture de l'isolation, du mepris, d'humiliations et de traumes ne jamais exprimees, qu'elle me guerit, d'une solitude tyrannique qui paraissait interminable, irrevocable. L'amour kabyle, il me couvre avec cette belle mousseline de soie, l'esprit, le coeur, l'ame, comme d'une couche invisible devenue tangible, pour me trouver poete libre, dans une robe faite du tissu magique du courage des Imazighen eternels legendaires de l'Afrique du Nord.
Trudi Ralston
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