Monday, March 8, 2021

Raccourcir la Distance : Le Portrait de Hafit Bernard de Nacer Amari - dans la serie " La Maison aux Fenetres Invisibles "

Un portrait de la part du photographe berbere Nacer Amari de Tassi Photographie, d'un jeune chanteur kabyle d'Aokas, avec au fond la plage au moment d'un coucher de soleil envoutant, m'a eveillee une emotion profonde quant a l'importance de la tradition orale d'une culture. Le photographe Nacer Amari m'a dit quand je lui ai demandee sur la signification du portrait de Hafit Bernard : " C'est un jeune d'Aokas, un ami. Un type tres calme, c'est un chanteur qui interprete des chansons kabyles. Il est aime par tout le monde ici. Depuis que nous etions a l'ecole primaire, il jouait la guitare deja. C'est Hafit qui a gagne le respect et l'estime de tous les jeunes d'Aokas et d'ailleurs grace a son calme, sa gentillesse et son esprit artistique. " L'Afrique est le berceau de toutes les civilisations sur terre, et la tradition orale a travers la musique, les vers, les contes, y remonte des milliers et milliers d'annees, et s'est repandue partout sur terre, et la culture berbere continue sa riche tradition de troubadours qui unissent leurs messages des defis de l'exile, comme le faisait Rachid Taha, de lutte contre l'oubli, pour la liberte, pour la preservation d'identite, de mythologie, de langue, de communaute, de dignite. La musique d'artistes kabyles, de Slimane Azem, Matoub Lounes, Djamel Allam, Idir, Lounis Ait Menguellet, Malika Domrane, est connue loin au - dela des frontieres de l'Algerie, de l'Afrique du Nord. Aux Etats - Unis, la musique de la rebellie, la lutte contre l'obliteration de l'esprit, de la liberte, de la langue, de l'identite est la plus visible, la plus forte et la plus tragique aussi quant a son histoire, dans la culture africaine - americaine, qui a su etablir un genre de musique, les spirituels. La tradition orale des spirituels fut commencee par les esclaves enlevees de l'Afrique de l'Ouest dans le commerce d'esclavage trans - atlantique vers les Ameriques, qui a commencee en 1501 et a duree, aux Etats Unis, jusqu'a tard dans les annees 1860, quand la Guerre Civile Americaine ( 1861 - 1865 ), entre les etats esclaves du Sud, et les etats libres du Nord, qui a coutee la vie a 1,264,000 soldats, quand a mis fin avec la declaration de la Declaration de l'Emancipation du 22 septembre 1863, le president americain Abraham Lincoln, au systeme inhumain de l'esclavage au pays. Il y a un spirituel tres fameux, que chantait tres bien la legendaire chanteuse de la musique gospel,  Mahalia Jackson ( 1911 - 1972 ), " Motherless Child ", " Enfant sans Mere ". Ce spirituel, nee de la tradition orale de la musique des esclaves dans le profond Sud des Etats Unis, et chantee publiquement pour la premiere fois dans les annees 1870, par un groupe d'hommes et femmes noirs, les "Fisk Jubilee Singers" : " Sometimes I feel like a motherless child A long way from home, a long way from home. Sometimes, I feel like I'm almost done, And a long, long way from home. " La melodie de la chanson est lente, hante, par l'intensite des emotions de profond chagrin qu'evoque sa melodie, et la chanson reste une des chansons iconiques des horreurs de l'esclavage, et apres, devint part aussi du Mouvement pour les Droits Civiles de la population noire aux Etats Unis dans les annees 1954 - 1968 : " Parfois, je me sens comme un enfant sans mere, loin de ma maison, loin de ma maison, Parfois, je crains que je n'en peux plus, si loin, si loin de ma maison. " Pour plus de 15 ans, ici, a Washington State, j'avais une amie, qui vivait a cote, Shelia, avec qui j'allais a son eglise noire, juste pour m'inonder de la puissante energie de la musique gospel, elle aussi nee, comme la musique des blues du Delta de Mississippi, dans le profond Sud des Etats Unis, de la musique des spirituels. A cote de Shelia, je chantais, je dansais, on pleurait, on criait, on applaudissait, sur le rythme envoutant de la musique, des chanteurs de la chorale,  de ses instruments, on se sentait entouree de la force de la musique gospel, cette musique d'un peuple incroyablement resistant et courageux, qui m'avait adoptee, sans ni une seconde d'hesitation, dans son coeur, comme visiteuse blanche, qui faisait comme 5 - 7 % des membres de la congregation affiliee avec l'eglise des Southern Baptists, les Baptistes du Sud noirs qui avaient leurs origines dans le sud du pays. Je crois que ma joie profonde d'etre en famille, une famille qui avait souffert beaucoup, etait tellement evidente, et les blessures ouvertes de ma solitude a peine deguisees, qu'il y avait une charite envers moi presque immediatement. La musique gospel unit toute peine, tout defi dans ses melodies, ses rythmes, ses energies, sa resistance. Ce fut une experience inoubliable. Par belle coincidence, quand Shelia a demenagee vers le Nord des Etats Unis, vers la cote nord - est du pays, c'est en ce moment que ma copine francaise a Grenoble, une amie etudiante de mes annees a l'Universite de Texas a Austin, la capitale, m'a introduit a la musique du chanteur kabyle, Idir, a sa chanson " Tizi - Ouzou ". Cette chanson a laissee une grande impression sur moi, et m'a voulu apprendre qui il etait, qui etaient les kabyles, et ce desir de savoir, de comprendre cette musique, m'a changee la vie de poete, m'a introduit a la Kabylie, a sa magnifique nature, a son histoire, a son peuple courageux, a la culture de sa musique, de ses artistes, a mes collegues, a ma famille berbere. Maintenant, ecouter la chanson chantee par Mahalia Jackson " Motherless Child " ne me fait plus pleurer, comme elle le faisait, meme etant si proche a Shelia et la musique gospel, parceque mon coeur, mon esprit, se guerit dans l'expression que ma muse trouve en Kabylie. Une des amies de Shelia m'a dit une fois : " Trudi, il y a une passion en toi, qui lutte pour s'exprimer, j'espere qu'un jour tu trouveras ta voix, elle sera puissante, comme notre musique, qui essaie de te faire comprendre que toi tu auras des choses a dire, a donner, a partager, a celebrer. " Donna avait raison, et cette voix, je l'ai trouvee en Afrique du Nord, en Algerie, en Kabylie, comme en temoignent mes livres, articles et poemes, depuis 2017. La chanson celebre de Slimane Azem ( 1918 - 1983 ), " Algerie, mon beau pays " me touche le coeur tellement, parceque c'est en Algerie que mes poemes , mon esprit et moi, ont ete accueillis, comme membre de la grande famille kabyle. L'Algerie et la richesse de sa culture, de son histoire heroique, de son peuple au coeur grand et charitable, m'a renforcee la verite profonde de l'importance de la tradition orale. C'est cette tradition de la chanson kabyle, heritiere de milliers d'annees de contes, de chansons, de vers, transmis a travers les generations, qui m'a raccourci le chemin vers un chez moi, vers la comprehension de l'importance de racines culturelles, de liens a la terre, de la mythologie si riche berbere, de la beaute de sa musique, de la joie de l'appartenance, de l'identite, la dignite, la langue d'un peuple, qui lui permet de s'exprimer son esprit, sa sagesse, ses exploits, ses luttes, ses droits au bonheur, a la liberte. Aux Etats Unis, les efforts faits dans les annees 1870 de la part des chanteurs noirs du groupe les "Fisk Jubilee Singers", a aidee enormement a la survie des chansons du genre des spirituels, c'est eux qui ont assure que la tradition orale des spirituels ne fut pas effacee, oubliee, et qu'elle continue jusqu'a aujourd'hui, avec des concerts, des celebrations de cet heritage si important de la culture noire des Etats Unis. Je pense aux efforts infatigables de l'ecrivain kabyle, Maitre Rachid Oulebsir, pour preserver la tradition orale de la Kabylie, a travers le partage de ses oeuvres, et leurs connaissances, comme son livre " Djamel Allam : Une Oevre Universelle ", de 2019, qui traduit les chansons du poete et dramaturge berbere du francais en kabyle. La preservation de la tradition orale d'un peuple est d'une urgente importance. La photo du jeune chanteur kabyle Hafit Bernard, le portrait en hommage que lui a fait le photographe kabyle Nacer Amari, donne de l'espoir, parcequ'elle exprime le voeu de voir la continuation de la tradition orale des chansons kabyles de la part de sa jeunesse a Aokas. On estime que entre les annees 1501 et 1867, environ 12,5 millions d'hommes, femmes et enfants africains furent enlevees de leur terre, de leurs familles, de leur culture, pour le commerce de l'esclavage transatlantique des Ameriques. La musique, la tradition orale des spirituels, qui se sont apres developpees dans la musique des blues et du gospel, furent une facon cruciale de preserver la culture de l'Afrique qui leur avait forcee d'abandonner le systeme inhumain de l'esclavage a des millions d'hommes, femmes et enfants africains. La culture noire a survecue aux Etats Unis, la richesse de ses traditions, grace aux efforts immenses, dans des circonstances brutales, de personnes qui comprenaient l'importance de ces efforts, la necessite de ces efforts, du persistant, resistant courage pour les preserver. Preserver la tradition orale d'une culture est un travail sacrale, et voir le portrait de Nacer Amari du jeune chanteur Hafit Bernard, entouree de la beaute de la plage kabyle, inspire cette admiration pour l'esprit resistant de la Kabylie, et une joie aussi, de savoir que sa lumiere ne s'eteint pas, ne s'eteindra pas en Kabylie, n'importe les defis. Le cercle de la tradition orale kabyle, reste ininterrompu, comme elle l'est depuis le debut des temps des grandes civilisations de l'Afrique, qui ont commencee cette aventure de l'existence humaine et ses cultures. Quelle chance pour moi, une poete flamande - americaine a l'esprit si longuement egaree, que l'esprit indomitable berbere, des peuples Imazighen, en Algerie, en Kabylie, m'ont donnee la chance, a travers la fortuite chance d'apprendre sur sa musique, cette tradition orale si riche kabyle, pour m'ouvrir le coeur a sa culture, son univers, son histoire, et dans le processus, me mener vers le portail magnifique de l'accueil kabyle, a sa fenetre ouverte, ou chante et vit depuis, les ailes libres, le coeur plein de fierte, plein d'energie et dignite, ma muse et mes poemes, mes livres, et leur amour pour la terre et lumiere berberes.  

Trudi Ralston

La recherche sur l'histoire de la musique des spirituels, courtoisie de Wikipedia.  L'information sur le poete et artiste kabyle Djamel Allam, courtoisie du livre " Djamel Allam : Une Oeuvre Universelle ", de Maitre Rachid Oulebsir, de qui ce fut ma joie et honneur de faire sa connaissance pendant mon sejour en Kabylie en septembre 2019. A cette occassion, j'ai recue de lui une copie de son livre sur Djamel Allam. 

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