Quand je pense a l'Algerie, je me sens telle une personne qui s'enva faire une promenade sur la plage, et qui voit l'immensite de la mer, et y voit ses reves, ses espoirs, ses questions, le chemin, traverse et encore a faire. La mer et ses rythmes a cette facon d'inspirer la meditation, le calme aussi, et l'espoir. On lui confie ce dont on parle avec guere personne. Quand je pense a l'Algerie ces jours, c'est mon coeur qui me parle, qui pense a mes amities en Kabylie, aux moments de bonheur et appartenence vecus avec eux, et aux defis que fait face le pays maintenant. Tout mon etre lutte contre la peine d'etre si loin en corps de ma famille berbere, ma famille de coeur, et si proche en ame, en esprit.
Un coup de telephone avec un ami de mes annees universitaires a Fort Worth, au Texas, a menee a une conversation sur le mystere du phenomene de la guerre, et l'eternelle bataille pour la paix sur terre. Mon ami a grandi en Amerique Centrale, en El Salvador, un pays qui a une longue histoire de guerres civiles violentes, et mon ami a passee toute son enfance pendant une de ces guerres civiles.
Il m'a parle des guerres civiles en Honduras, Nicaragua, Guatemala, et j'ai compris que pour certains pays le chemin pour la democratie est tres long et difficil. L'enfance entiere de mon ami fut marquee par la violence, et c'est impressionnant, il m'a avoue, comme l'esprit humain s'adapte, et trouve une facon de continuer d'avoir de l'espoir, du courage. Dans sa famille, des personnes ont ete tuees, des amis aussi, et malgre cette violence, la vie continue, il me dit. Parmi ces annees de violence, les gens se marient, ont des enfants, vont a l'ecole, travaillent, revent, creent et croient. Pendant l'echange, on a conclus comme c'est bizarre de constater qu'une douzaine de personnes peuvent controler le destin de millions de personnes, pour le malheur, sous un syteme de gouvernance de repression dictatoriale, que ce soit de gauche ou de droite, le resultat est le meme, une violation progressive et finalement totale des droits de l'homme.
Mon ami expliqua que pendant le cours de sa vie, et il a 65 ans maintenant, il a vu le gouvernement virer des extremes de droite aux extremes de gauche, sans jamais trouver un equilibre valable pour ses citoyens, qui se trouvent en angoisse continue de violence et instabilite politique, economique et sociale. On s'adapte pourtant, c'est ca le plus intrigant, me dit mon ami, c'est ca la realite, la vie continue, persiste, insiste, malgre la realite sombre de tous les jours quand on vit sous un systeme de corruption totale.
Je pense a mes amities en Algerie, et la plupart des personnes adultes entre elles, ont vecu la decennie noire, et se rappellent la Guerre de l'Independance, la generation plus jeune, a travers les memoires de leurs parents, grandparents, et ces deux guerres furent longues et tres violentes, et mes amis et amies et leurs familles ont vecus les deux, et voila qu'elles se trouvent a nouveau dans une periode d'incertitude et angoisse a cause d'instabilite politique, 20 ans seulement apres la guerre civile. C'est troublant, cette insistance du mal, ce metamorphe sinistre de vouloir imposer son importance, son avarice, sa cruaute, son egoisme pervers, au nom d'une elite mineure qui ainsi tourmente des millions de personnes innocentes. Cela me rappelle la chanson touchante du chanteur berbere kabyle, Idir, " Pourquoi cette pluie ? " , une tres belle chanson sur l'enigme et la realite cruelle de la vie sous un systeme de repression. Si la souffrance approfondit l'ame et le coeur, l'ame et le coeur algeriens en savent quelque chose, car leurs chanteurs, poetes et ecrivains et ecrivaines s'expriment avec profondeur et sagesse, d'Idir a Matoub Lounes, de Taos Amrouche a Kateb Yacine, Amin Zaoui, Kamel Daoud. Il y a une profondeur que seul le chagrin persistant et ses agonies savent creer. Dans les pays qui ont souffert, ou souffrent sous la tyrannnie de systemes de repression, racisme et inegalite, le chagrin et le malheur deviennent une katharsis pour l'inspiration comme en sont temoins les oeuvres de Fyodr Dostojewski, Aleksandr Solzhenitsyn, Kateb Yacine, Gabriel Garcia - Marquez, Toni Morrison. Je me rappelle aussi la lutte des flamands en Belgique, pour la justice politique , economique, intellectuelle et sociale, face a la dominance des wallons et Bruxelles, qui finalement s'est resolu vers la fin des annees 1960. Des poetes comme Guido Gezelle et Albrecht Rodenbach refusaient d'accepter cette injustice, et finalement, apres des siecles d'injustice, les flamands ont su obtenir l'egalite et la dignite culturelle, politique et linguistique, ce qui me fait penser a la lutte continue pour la dignite et egalite a laquelle fait face la culture berbere en Algerie, et la determination infatigable en Kabylie pour voir reconnue sa culture et sa langue. Une lutte qui a chaque fois met la Kabylie au centre des dilemmes et conflits politiques, depuis des siecles. Comment ne pas admirer le courage infatigable du peuple en Algerie, ce pays immense, complique et irresistible? Il reve les yeux ouverts, il refuse d'etre somnambules tandis que meme ici la democratie est en danger, mais l'indifference est plus grande que la passion de combattre ce danger, tandis qu'en Algerie, le courage est plus grand, toujours, que l'indifference ou la peur. Marcher pacifquement, pour 10 mois deja, des centaines de milliers, des millions d'algeriens, chantant, pour une chance au dialogue, a la justice, a la democratie. Ce phenomene de paix devrait etre sur la premiere page de tout article sur les nouvelles internationales. Il est prophetique, car si on n'ecoute pas, si on n'apprend pas, ici, en Europe, partout ou la democratie risque d'etre volee et detruite, ce sera nous dans les rues reclamant les libertes pour lesquelles le peuple algerien lutte si courageusement. Le peuple algerien est debout, reveille. Au reste du monde de faire attention, et ne pas s'endormir par stupidite ou paresse.
Trudi Ralston
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