Friday, August 3, 2018

A Deux Pas de l'Abysse : Le Remede d'un Puzzle Opportun

" L'autre, j'en ressentais le creux, la trace creuse en moi, le besoin de me mouvoir vers lui, la calcination quand il me brula ou l'endroit endolori par son arrachement. Brusquement, je me suis senti en desequilibre, sans l'autre, un peu chancelant dans mon humanite, bref et sans direction dans l'espace quand ce n'est pas une direction vers un visage, tournant dans l'affolement ou en orbite autour d'un enigme." J'eprouvais un soulagement perceptible dans ces mots qui commencent une des chroniques a la page 132 dans " Mes Independances " titule "L'Autre " du 28 novembre 2011 de Kamel Daoud. La sensation etait celle d'aligner des pieces d'un puzzle, et la chronique sur l'Autre etait une des pieces indispensables pour resoudre le chemin de retour qui me permettrait de m'eloigner de cette abysse qui c'etait creuse dans la solitude du matin. Le livre de Kamel Daoud etait ma carte geographique ou je cherchais les indices de ma malaise, que j'avais hate de m'endebarrasser. J'etais de voyage dans la table des matieres, et je marchais dans les villes de ses mots avec determination et certitude, comme une etudiante universitaire, amoureuse des passions d'un auteur decouvert comme on decouvre un tresor. " La peur de soi devalorise et provoque la violence. Pas pour faire tomber un regime ou changer le monde, mais pour se faire tomber soi- meme, au plus bas, et essayer de se fuir au plus vite, au plus loin." Cette phrase est a la page 281, d'une chronique du 21 avril 2014, ou explique Kamel Daoud la condition de la soumission. C'etait comme me regarder dans un miroir que j'avais mis a cote pour eviter d'y voir ma reflection ou le doute du moment dominait. Mon mari savait ce qu'il fallait etait de me retrouver le chemin dans un article, de laisser les mots me rendre les pieces perdues dans une nuit trop longue et un matin qui se cachait derriere un soleil gris et endormi. Si Zabor pouvait sauver tout un village, peut-etre il avait aussi la recette pour noyer ma melancholie agacante et abrutisante. J'avais deja dans ces deux passages des " Mes Independances " deux des pieces du puzzle qu'il me fallait. La page 311 me donnerait la derniere piece qui me permettrait de finir le puzzle : La chronique titule " Entre Exiles et Annihiles", du 29 septembre 2014, et son moment de la catharsis qui me sauverait de ces deux pas trop pres de l'abysse : " Peut - on ecrire sur l'Algerie quand on n'est pas en Algerie? Difficile. Il manque l'air jaune, le poids vertical de la terre que l'on pousse devant soi comme un mur, les regards aceres par la mefiance, la route lasse et cet ennui au bord du gazoduc, entre le drapeau et le desert. Et le vide. C'est le vide qui manque. Le seul qui appelle les mots a faire sens. Le sens a besoin de l'absurde. Vieille tournure du chroniqueur: les gens qui partent du sens ( politique, religieux, theologique, fanatique, commun, totalitaire ou raciste et ethique, etc.) aboutissent a l'absurde: ils tuent, assasinent, insultent, nient ou s'agitent et prennent des otages et des poses. Les gens qui partent de l'absurde comme evidence aboutissent au sens. " Du coup, je respirais a nouveau a pleins poumons. La melancholie et sa rage muette me fuyait comme une mauvaise ombre. La vie ici, ma vie, a un element d'absurdite, pour la perte de famille, pour la trahison de valeurs democratiques ici qui ronge au coeur le plus robuste. Le point de vue de l'ecrivain algerien quant a l'experience intellectuelle et historique vecues dans son pays, etaient la lumiere dans les tenebres, sa lutte passionee et partagee pour expliquer et comprendre l'Algerie et de s'approcher avec courage dans ses livres a l'Autre, dans ce cas, dans ce moment de ce matin, cet autre etait un lecteur a Olympia, a Washington State. De tous les livres dans mon petit bureau, le livre " Mes Independances " de Kamel Daoud etait le bateau du garde de cote qui savait me sauver du naufrage. Me venant d'un pays plein de naufrages et cauchemars colons, decolonisateurs, et leur heritage d'un vide aussi vaste que le pays meme, les ecrits de cet ecrivain qui avait mis un feu dans le coeur du monde litteraire, avait dans son courage et ses convictions inspire une facon de me sauver de moi- meme, de mon vide, de cette blessure de solitude, de ce manque de racines et terre que l'exile m'a laisse et continue a me laisser comme heritage douteux d'un reve trouble et une innocence egaree dans une valise en Flandre il y longtemps. Trudi Ralston 

Ma copie de " Mes Independances : Chroniques 2010 - 2016 " de Kamel Daoud est d' Editions Barzakh, Alger, 2017; Actes Sud, 2017. 

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