Tuesday, November 24, 2020

Terrain Solide - dans la serie " Le Cahier Errant " dedicacee a Nacer Amari

Quand j'etais enfant, une des choses sur lesquelles mon pere insistait, etait le travail dehors au jardin. On avait une maison grande, et un jardin grand, avec beaucoup d'arbres et plantes, et j'etais toujours dehors, jouant avec mon fere et mes deux petites soeurs. J'aimais bien y jouer seule aussi, m'y perdre dans les ombres des arbres, de me cacher dans son abondance de coins secrets, et de m'imaginer pirate faisant un grand voyage de l'autre bout de l'etang au milieu du jardin qui separait la pelousse du verger. On avait des canards, des poules, des cygnes aussi a un temps, mais elles etaient assez mechantes et nous chassaient souvent, on avait des oies aussi, elles aussi assez mefiantes, mais avec le temps elles nous ont acceptees. Etre dehors fut une merveille, de silences, de sons aussi, de la terre sous mes pas, des oiseaux, des abeilles en ete, du vent, de la pluie, de la neige. Les arbres aussi avaient leurs silences, et leurs choses a dire, j'aimais beaucoup m'approcher a eux, ils avaient toujours des sagesses a partager. Parfois, j'avais la vive sensation qu'ils me pitoyaient etre un enfant humain, et parfois, j'etais d'accord avec eux. Mon pere dediquait les weekends souvent au travail au jardin, et on y travaillait toute la journee, ce que j'adorais. Une des sensations les plus cheres pour moi fut la senteur que laisse au corps, aux cheveux, etre dehors dans la nature toute la journee, cette odeur fraiche, un peu fumee, humide, que laisse le vent et l'air comme signature de l'etreinte d'une personne aimee. Toutes ces annees plus tard, ici a Washington, loin de mon village natal en Flandes, cette senteur me rappelle ces souvenirs innocents quand je travaille dans mon jardin a Olympia, qui est plus petit, mais qui a pleins d'arbres, plantes, et fleurs aussi. Cette senteur qui se colle comme une sel de mer sur la peau, sur le souffle, qui penetre le sourire, avec l'espoir que donne etre proche a la nature et ses dons. J'entends encore la voix de mon pere, me racontant un passage d'un de ses livres qu'il voulait que je lise, il me prenait au serieux, et ces heures dans sa compagnie, quand il etait libre du stress de son travail, et me parlait de mythologies du monde, etaient des heures de bonheur, libre du mepris de ma mere, qui souvent etait a l'autre cote du jardin, ce qui m'arrangeait. Le monde en ce moment parait etre sous une hypnose, ou le temps passe mais avec une hesitation marquante, avec un air de doute quant a son but, et etre dehors en velo, ou au jardin, me permet de me couvrir de cette senteur humide, fumee, chaude, que me laisse la nature, dans mes habits, dans mes cheveux, dans mes pensees pour ceux qui me manquent, dans un passe futur, et dans un futur passe, de leur sentir ce gout doux, frais, envoutant dans toute sa profonde presence emouvante, de me trouver encore sur ce terrain solide qu'est la vraie realite, libre d'illusions fabriquees par un monde egare, ce qui m'a inspire ce poeme:  

Terrain Solide 

Si par hazard, tu pourrais traverser le pont entre hier et ce soir, pourrais - tu venir me visiter dans mon jardin, et y voir et entendre les voix et histoires qu'ont a raconter les arbres et les nuages? 

Si par hazard, le temps etait un oiseau grand, aux ailes accueillantes, qui t'apporterait vers moi, ou qui trouverait une facon de m'emmener chez toi, est - ce qu'on pourrait travailler dans les champs de ble, et tu pourrais m'apprendre sur la recolte des olives, et m'apprendre tous les noms des arbres en kabyle?

Si par hazard, mes reves se trouvaient encore une fois sur terrain solide, est - ce qu'on pourrait danser et chanter en famille, est- ce qu'on pourrait aller voir les festivals aux villages, faire de l'art sur les muarailles pour les enfants, et ecouter les contes et histoires de leurs rires et espoirs?

Si par hazard, le temps decide d'etre a nouveau gentil, et permettre que je cueille avec toi, comme une fleur grande et belle, la promesse des saisons qui passent, tu ne seras jamais plus loin que l'etreinte qu'y laisse la senteur de ton coeur. 


Trudi Ralston 

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