C'etait comme un choc total, affectif et intellectuel, cette sensation discordante du vide qui envahissait tout aussitot que j'ai mis pieds a nouveau ici a Washington State, une fois finie mon sejour en Afrique du Nord, en septembre et octobre 2019. Je comprenais plus que jamais ce que le grand comedien algerien Fellag voulait dire, ce vide, comme il en parle quand il etait en Suisse. Maintenant, cela me rend plutot triste que souriante, pour la verite de la difference immense entre l'energie de l'Algerie, et le Maroc, comparee a l'espace mesuree du rythme quotidien ici. Cela lui manquait a Fellag, et cela me manque a moi, le bruit, les foules, la vie, au Maroc, en Algerie, dans toutes ses manifestations complexes, qui ici est sterilisee, neutralisee. La pandemie Covid - 19, et ses ombres et fantomes de la pandemie de 1918 - 1920, l'infame influenza espagnole, envahit tous les coins de la terre, et change le rythme de toutes les cultures et peuples de notre planete paralysee. Une photo de Nacer Amari de Tassi Photographie, " Pause Cafe " du 31 octobre 2020, m'a donnee un frisson d'emotion, car immediatement, elle m'a rappellee les silences et solitudes des tableaux austeres du peintre Edward Hopper ( 1882 - 1967 ) , ne et mort a New York. Edward Hopper est synonyme du mouvement americain neoclassique et du realisme social, et etablit lentement, a travers 40 ans d'art, une renommee mondiale pour la franchise avec laquelle il savait creer des peintures qui furent un commentaire profond sur la solitude et isolation de la vie moderne, autant rurale qu'urbaine, de la culture americaine du XXeme siecle. Edward Hopper fut le peintre des silences et leurs histoires, d'un realisme qui se mettait au bord du surrealisme avec des images ou la distance affective entre les personnages de ses tableaux etait part d'une narrative symbolique, et les photos de Nacer Amari, surtout ses photos en noir et blanc, ou ses photos ou les couleurs sont une expression d'ombres et lumieres, evoquent l'ambiance envoutante de l'univers de Edward Hopper. La photographie de Nacer Amari aussi sait creer des portraits, des scenes de nature mortes, ou ce qui est sugeree a travers de silences soigneusement choreoraphies, devient aussi important que l'element illustratif en soi. Comme les peintures de Edward Hopper, la photographie de Nacer Amari invite le spectateur un portail vers son propre monde interieur, lui permet de s'auto - observer en toute privacite, ses propres vulnerabilites, circonstances, perspectives affectives - sociales et culturelles. Les tableaux du photographe berbere ont souvent une ambiance de nostalgie, de melancholie subtile, qui invite la reflection interieure, la pause. Sa photo en noir et blanc " Pause Cafe " est telle une scene d'un film silent, et en fait, la peinture d'Edward Hopper a inspiree pas mal de regisseurs, comme Alfred Hitchcock, pour cette inquietude que le peintre sait suggerer a travers ses scenes theatrales silencieuses qui sont saturees de solitudes et angoisses suprimees. Edward Hopper fut un peintre qui prenait longtemps pour creer ses tableaux, il travaillait avec patience, avec beaucoup de pensee quant a le resultat qu'il rechercheait avec beaucoup de soin et reflection. Nacer Amari, comme Edward Hopper, sait maximaliser l'usage d'ombre et lumiere et creer ainsi une ambiance qui met en equilibre parfaite la qualite affective - artistique de ses photos. Les peintures fameuses de Edward Hopper comme " Nighthawks " ( 1942 ), "Automat " ( 1927 ), et " Chop Suey " ( 1929 ), qui en 2018 fut estimee a 92 millions de dollars, se centrent souvent autour de personnes qui se trouvent dans des situations precaires, prisonniers de circonstances qu'elles se sentent incapables de changer, de comprendre meme. Les personnages de ses peintures ont des liens l'un avec l'autre qui sont nebuleux, entoures de solitudes, d'isolation, de manque de communication, de comprehension, d'intimite de la part du groupe, du couple, de la personne solitaire, dans ses tableaux. La photo " Pause Cafe " de Nacer Amari est une etude de silences, une anatomie de ce silence dans le monde de mouvement et liens frustres de cette pandemie : le monde du cafe gregaire, de rencontres, devient dans cette scene arretante, un monde ou les personnages se trouvent chacun enferme dans leur monde interieur, il n'y a pas de conversation, pas de rires, pas d'echange de cigarettes ou vin, pas d'energie de camaraderie, de defi et espoir, de sensualite exuberante, d'anticipation d'aventures futures, de salutations pour la copine et la famille. Il y a un silence epais, si bien exprime en noir et blanc, dans les poses arretees des quatre jeunes hommes. La specialiste sur l'art de Edward Hopper, Gail Levin, a dit du peintre qu'il sait creer et communiquer " une sensibilite abstraite ", qui est " saturee de significations poetiques pour l'observateur ", ce qui est aussi present souvent dans la photographie de Nacer Amari : il y a toujours cette couche presque invisible de lumieres et ombres secondaires en dessous de la peau de premiere lumiere et ombre dans ses portraits, ses scenes maritimes, ses scenes rurales, ses nature mortes. Ce portrait de quatre jeunes dans un cafe ou les ombres et lumieres deviennent des lignes qui definent l'aure de chacun d'eux est magnifique dans sa description fine du silence et ses efforts imperceptibles presque, d'echapper la solitude et isolation d'un monde deraille qui n'a rien a offrir sauf le bruit de ses mecaniques brisees. " Pause Cafe ", dans toute son austerite en noir et blanc, est une anatomie precise du silence qui nous unit, comme un fil invisible mais tres solide comme une soie d'araignee, dans le mystere profond qu'est le dilemme existencielle insoluble dans la toile de la solitude humaine. Comme Edward Hopper avant lui, le photographe berbere Nacer Amari de Tassi Photographie comprend et illustre sans hesitation que ce sont les silences toleres qui souvent finalement savent construire le pont precaire qui permet de traverser la distance entre des personnes de circonstances divergentes. La danse du silence, et ses melodies et nuances devient la reponse, l'espoir. L'art brise ces murs de distance, inspire le courage, inspire la joie parfois si hesitante, de risquer de voir, de regarder au - dela des murs visibles et invisibles qui nous entourent, a cause d'avarice, de cruaute, d'injustice, de racisme, d'intolerance, de fatigue, d'egoisme, de doute, de peur, de solitude, de trop de pertes, trop d'illusions, infligees par les conflits interminables sur cette planete. Vive l'art, vive les artistes de la terre, et l'espoir dont leurs muses courageuses sont capables, n'importe les spectres sinistres qui si souvent les eraflent l'ame.
Trudi Ralston
La recherche sur l'art du peintre americain Edward Hopper, courtoisie de Wikipedia.
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