Tuesday, May 4, 2021

Ce qui Reste: La Perspective d'Osip Mandelstam - dans la serie "La Colombe" dedicacee a Nacer Amari

Le petit cadre avait tombe par terre, je l'avais touchee par hazard, legerement, sur la table ou le voisin avait mis une photo d'un de ses membres de famille, quand petit. Je le ramassais, pour le rassembler prudemment. Mes mains un peu distraites, trouvaient derriere la photo de l'enfant souriant inconnu, une photo de moi a l'age de 21 ans, comme etudiante universitaire au Texas. Au milieu de ce reve bizarre, dans cette espace opaque de la maison de voisins de beaucoup d'annees, ce qui en soi etait bizarre, ce qui me troublait les mains et la tete, etait le fait que ma photo etait la, cachee derriere une photo d'une personne que je ne connaissais pas. Avant de me reveiller, j'ai entendue la voix de mon fils, sa voix douce quand il etait enfant, qui me disait "Partons, maman." Il m'a pris la main, et on a quittee la maison lugubrement vide du voisin, de qui on pouvait entendre sa voix venant de l'autre bout de la maison, et une reponse lui faite, inaudible, d'un de ses enfants adultes. Le reve m'est venu apres avoir appris sur la vie du poete russe Osip Mandelstam ( 1891 -1938), et sa vie turbulente et breve, sous le regne de terreur staliniste. Le poete a en fait trouvee la mort dans un des camps de concentration de transit, un gulag a Vladivostok, mort de froid et faim, en 1938, comme fut le sort tragique de milliers et milliers de dissidents russes, qui insistaient sur le droit de s'exprimer librement. J'etais au silence du jardin ce matin, avec les couleurs et parfums des lilas, et le va et vient pantomime des ecureuils qui s'occupaient a manger et ramasser avec alacrite soigneusement orquestree, les graines leur laissees au fond du jardin. J'essayais de ranger le reve lucide bizarre, sur le cadre et la photo, et ce contraste entre cette preoccupation qui se dissipait, et la tranquilite du jardin, avec les couleurs vives des lilas, des colombines pourpres et les fleuraisons blancs du cornouiller un peu surrealistes, m'a fait penser a un des poemes de Osip Mandelstam, "Ce qui reste", de 1913. Le poeme fut inspire en part par le voyage en Afrique du poete Nikolai Gumilyov ( 1886 - 1921) , le premier mari de la poete de renommee internationale, Anna Akhmatova ( 1889 -1966), et a des resonances des chanteurs d'epopees bedouins. Le poeme celebre le triomphe de la poesie sur la condition humaine, un defi que les poetes comme Osip Mandelstam affrontaient avec audace et incroyable courage et passion. Le poeme celebre la joie du partage entre poetes, artistes, n'importe les conditions precaires ou dangereuses qui les essayaient de silencer la voix, comme l'indique la premiere ligne du poeme: " Oui, le pain est poisonne, et tout l'air a ete bu."  De cette introduction reflechie et austere, un poeme aux rythmes et sonorites et images theatrales se construit qui est une celebration, une victoire de la poesie sur toutes les terreurs qui savent envahir les esprits libres et leur muse rebelle, intenanable, meme face a la mort et la privation totale. Dans un monde qui cherche a reanimer et glorifier la repression d'une insistance alarmante de la part de trop de gouvernements, le poeme "Ce qui reste" de Osip Mandelstam a des resonances hallucinantes qui avertissent sur ce danger qu'affronte le droit a la liberte d'expression. De facon prophetique a travers sa voix de poete, qui nous vient d'un passe ne pas distant, d'une militarisation et intolerance intellectuelle qui a directement menee a la Seconde Guerre Mondiale et ses horreurs, Osip Mandelstam invoque le courage et l'espoir, face a des defis monstres.  Les Etats Unis vient de se distinguer de la facon la plus douteuse, en introduisant des lois en ce point deja en 11 etats differents, de la part de la partie republicaine, qui vont declarer les marches de protestation comme etants des actes criminels. En voila une mesure democratique exemplaire, on aura evidemment rien a craindre si on se silence. "Ce qui reste" est un poeme qui resonne dans le silence du jardin ici ce matin, qui me rappelle que dans l'ocean d'indifference envers ma voix de poete que j'ai du combattre ici, que ma voix a trouvee sa melodie, son expression, sa dignite, a trouvee la passion, la conviction dont parle Osip Mandelstam, dans les espaces grandes du coeur berbere. " Ce qui reste" dans mon coeur de poete, est la chance maintenant de m'exprimer librement, de partager le voyage de ma muse de la desolation, isolation sociale et intellectuelle de ma vie comme poete flamande, aux Etats Unis, vers la redecouverte de mon etre, de ma voix de poete, dans l'accueil de la culture berbere de l'Afrique du Nord, de l'Algerie, de la Kabylie. Comme le poeme, ce qui reste, est la joie de decouvrir ma voix silencee apres le vide affectif et intellectuel qui a essayee de m'avaler ici, je me suis liberee, ma muse a survecue. Ce qui reste, c'est la joie de chanter, de partager, a haute voix, en defiance du vide qui m'a entouree si longuement, que ma voix de poete, reste, intacte, et tous les defis du passe, du present, n'ont aucune importance en comparaison de la realisation qu'il y a une force creative qui trouvera toujours une facon de se faire entendre, tot ou tard, dans un futur passe, ou un passe futur, n'importe le spectre dystopique et ses spasmes du delire des illusions que le mal se fabrique pour silencer les voix des esprits libres. "Ce qui reste" pour mon coeur de poete, c'est la reconnaissance de mes poemes, de mes articles, de mes livres, qui chantent, qui celebrent, la culture berbere qui m'a sauvee la vie a mon ame, a mon coeur, de la part d'un peuple qui depuis des milliers d'annees s'assure avec immense tenacite et courage, que sa voix n'est pas silencee, que la tolerance, l'inclusion culturelle reste respectee, visible, celebree. Je dedique ce poeme a ma famille berbere, en Kabylie, qui m'ecoute, qui m'entend, et de qui son coeur et ses sagesses, sa chaleur est la flamme du feu de mon courage, de ma passion, de mes explorations, est le receptacle qui garde et protege les recits de mes plus importantes memoires d'enfance, d'adolesence, et des espoirs et energies et mes projets comme poete, pour le present, et le futur: 

Le parfum des Lilas 

Le silence du jardin qui entoure le ciel et ses arbres, avec les parfums des lilas et les refrains que laissent sur ses petales les ailes des oiseaux qui s'ajoutent a la symphonie du printemps ce matin, m'apporte de loin, de la memoire des anciens, qui ne se perturbent plus avec les chagrins et illusions du monde qui vont, qui viennent, la lumiere d'un poeme de Osip Mandelstam, qui a vu et compris, ce qui reste sur le chemin, une fois que tout aura disparu, il y aura l'immensite du desert, et la voix qui y chante, il restera la poesie pour rappeler la terre et ses poussieres, que rien est plus fort que le desir d'avoir la voix libre, de s'exprimer: aucun empire ou tyrannie survit a la fin le cri du poete. 

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Le parfum des lilas m'a dit ce matin, que depuis l'aurore des temps, il y a cette bataille, entre ces etres qui cherchent a dominer, pas seulement les richesses de la terre, mais aussi les tresors si chers que sont ces ames, ces coeurs, qui preferent payer avec la prison, la mort, le droit de dire, de chanter a haute voix, leurs passions, leurs visions, de beaute, de tolerance, d'amour, que de rester et vivre en silence comme des fantomes sans voix, sans lumiere, sans poids qui transmet l'heritage plus precieux que tout l'or sur la planete, de se savoir une personne digne, qui a la voix claire, qui ne tolere pas l'injustice, la guerre que se font avec tant d'avarice, ceux qui ont peur de tout ce qui vaut la peine de vivre, de connaitre, autre que le pouvoir et ses miseres. 

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Ce qui reste, comme le savait si bien le poete, qui est mort de froid, de manque, c'est la voix dans l'immensite du desert, qui chante, qui repete, pour que le firmament meme se rappelle, qu'etre humain veut dire avoir le droit de faire resonner sa voix, libre, fiere, sans aucune peur, sans aucun mepris, et celebrer ce bref, incontournable mystere, de vivre, de connaitre, de celebrer toutes les cultures, d'accueillir, d'aimer librement, a travers frontieres et limites, la main dans la main, le coeur et l'ame chaud avec l'espoir, avec le courage que donne la solidarite inclusive, le long le chemin de notre passage sur cette terre.  

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Le parfum des lilas au jardin ce matin, m'invitent a toutes les melodies de tous mes poemes, qui vivent, qui revent, en Kabylie, dans ses montagnes, dans les chants de ses cascades, de ses rivieres, dans les maisons de ma famille berbere, dans leurs reves qui me visitent, qui me bercent, pour que je ressente dans les profondeurs de mon etre, que c'est elle qui m'a donnee la clef de la liberte a mon coeur de poete, c'est l'Algerie qui m'a envoyee le navire pour faire le voyage de l'oubli vers le bonheur du partage. Ce qui reste, c'est ma joie de savoir, que ma voix de poete, apres tants d'annees de silence et tenebres, resonne dans les coeurs kabyles libres que j'aime. 


Trudi Ralston

La recherche sur la vie et l'oeuvre du poete russe Osip Mandelstam, courtoisie de Wikipedia. L'information sur son poeme de 1913, "Ce qui reste", en traduction anglaise, " What Remains", courtoisie de Carol Rumens, la traduction du poete americain, Reginald Gibbons, et publiee le 27 avril 2021, dans la magazine "The Guardian", (theguardian.com) sous la rubrique " Poem of the week". 

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