L'eau coulait avec un son de pas de danse, dans un rythme qui invitait bouger, s'imaginer ailleurs, loin de la repetition aveugle de sorter le linge, de plier les draps, de ranger les couvertures lourdes, epaises, maladroites dans leurs dessins et couleurs au moins brillantes. J'avais l'impression d'etre une marionnette, dans les mains d'un enfant distrait, qui s'amusait de me faire repeter les mouvements mesures sans cesse. Apres, dans la cuisine, il y avait les assiettes a ranger, les vers, les couverts, et eux aussi faisaient des petits bruits d'un orquestre cacaphonique, repetitifs, au precipice de l'ennui. Le silence dans la maison etait totale, un silence d'absences, lourd comme du plomb. Il n'y avait personne, il n'y aurait personne. L'eau coulait, dansait, les assiettes murmuraient, et moi, je dessinais des mots, des morceaux de tableaux de poemes dans ma tete, qui flottaient invisibles, autour de mes yeux, de mes levres. Ainsi passaient des annees, des eternites de silences, invisibles, ou mes poemes s'etaient endormis, epuises, perdus. Les melodies de la nature en Algerie, en Kabylie, allaient les reveiller, allaient les apprendre de trouver les mots pour les dessins, les rythmes et chansons dans ma tete, allaient les liberer, a travers l'art des photographes berberes, comme a su le faire l'art photographique de Djamil Diboune, de Katia Djabri, de Kurt Lolo, et l'art de
Nacer Amari de
Tassi Photographie.
Son art m'a inspiree de retracer l'importante influence intellectuelle et artistique de la peinture de mon oncle Frans De Cauter ( 1920 -1981 ), ce qui ajoute une perspective nostalgique et rassurante a l'importance de mon lien avec la culture berbere de la Kabylie. Ce lien me fait revisiter les annees de solitude aux Etats Unis, et comment ces longues annees d'isolation m'ont forcees de mettre a la memoire les exercises d'ecrire des structures et morceaux de poemes dans ma tete, une atteinte de construire un alphabet, un vocabulaire, de documenter un cri pour la creativite, pour survivre une solitude asphixiante, pour ne pas perdre mon identite, les melodies et rythmes de mes poemes perdus de mon adolescence, la perte de mes racines, de ma langue flamande, de mon nom, de ma famille, de mon ame, de mon coeur. J'etais reduite a une marionnette qui essayeait de ne pas se noyer dans l'invisibilite d'une langue qui n'etais pas la mienne, dans un monde ou je n'existeais que comme le receptacle vide d'une personne qui avait perdue trop, trop vite, sans defense, autre que le desir de ne pas disparaitre completement de la scene d'une piece de theatre dont je ne connaissais ni le titre, ni la raison de m'y trouver dans un role ou aucun des mots etaient les miens.
Un jour, je me reveillerais de ce cauchemar.
Le reveil est venu de la Kabylie, et depuis les poemes enterres tous ces 30 plus annees dans le coffre fort de mon coeur, de mon etre, se reveillent, comprennent qu'ils ont beaucoup de force, beaucoup de passion, beaucoup de secrets et mysteres a partager, avec la Kabylie, et ses artistes, avec sa magnifique nature qui tel un instrument connait, comprend toutes les nuances des melodies que m'inspirent ses montagnes, ses plages, son soleil, ses cascades, ses rivieres, ses fleurs, ses arbres, ses animaux, les sphinxes de son grand desert du Sud. La Kabylie a rompu le sortilege, et m'a invitee dans le feu chaud eternel de son etre, de son courage, de sa passion, de son histoire, de son chagrin, de ses joies. Elle m'a ouverte la boite de musique de mon ame, poisonee et paralysee par le silence, l'oubli, la solitude, le mal du desespoir, la perte de la volonte de ma voix de poete, d'ecrivaine. Je suis a elle, et mes poemes celebrent a sa nature, a son histoire, a son courage, a son amitie, a son amour, envers cette poete flamande - americaine qui avait tout perdu, meme son ame.
L'esprit berbere est indestructible, et sa resistance inspire la dignite, l'espoir tenace, le courage, la fierte, et une joie qui accepte et connait le chagrin, sans amertume, avec un esprit de camaraderie, de charite, d'amour qui sait vaincre tout defi. Mes poemes vivent librement, parceque leur muse, la nature et les artistes en Algerie, en Kabylie, m'ont permis d'entendre la melodie ancienne, guerisante de l'ame berbere, qui m'a sauvee la vie a mon coeur, a mon ame, a mes sourires et mes larmes, et leur ont donnes a manger, a boire de ses sources eternelles, ou se ressourcent les hommes, les femmes, les enfants libres, Imazighen. Ni sur une autre constellation, qui a la plus illuminee etoile et planetes, il pourrait exister un plus grand honneur, grace et bonheur. Ma poesie s'a liberee grace a la Kabylie. J'ai a nouveau mon ame, ma vision, ma fierte, mon inspiration vibrante, avec but et confiance, grace a la Kabylie.
La fenetre ouverte de l'amitie berbere, charitable et genereuse, de son art reflechi et sincer, m'a permis de retrouver la porte d'entree de mon coeur, de mon ame, ou je les avais perdus dans le brume des defis et du temps et ses tempetes et cruautes. Je me retrouve sure, heureuse, comme poete, sur le chemin qu'est la Kabylie, qui m'a reintroduit a mes racines flamandes, ce chemin ou ces racines peuvent maintenant comprendre leur raison d'etre, et leur destin, de ma muse qui est kabyle, et qui se sent chez soi pres de la fenetre ouverte, car c'est la que j'entends et rencontre les souvenirs et les memoires de mon oncle, de mon pere, et de l'enfant libre que j'etais, de l'adolescente reveuse que j'etais, avant de partir, pour me perdre et me retrouver finalement, libre, une femme qui sait accepter son passe parcequ'elle aime et comprend maintenant son present, et l'espoir des lumieres de demain, dans toutes leurs melodies et rythmes, comme dans ce poeme, cette reverie berbere, inspiree par la beaute meditative et hypnotisante de cette belle photo du coucher du soleil a Aokas de
Nacer Amari avec ses couleurs envoutantes et fluides, d'une harmonie visuelle et emotionnelle en parfait equilibre meditatif:
Crepuscule d'une Reverie Berbere
Comme l'araignee travailleuse, de qui son apparence peut etre douteuse,
qui a la fin du jour presente une toile qui resiste le noir et seduit la lune,
le travail peut etre laboureux, seul, et sans grand interet des etoiles.
Dans les ombres, dans les tenebres, l'araignee pourtant provient,
elle suit son destin, elle merite le respect au moins pour son travail sincer,
et avec le temps, parfois on note parfois certaines melodies, certaines chansons,
qui inspiraient l'idee qu'il y avait une promesse, alors, il ne faut pas abandonner l'espoir.
Comme ce sublime coucher du soleil, en couleurs de merveille,
ou le bleu et le noir embrassent le feu de la nuit, sa vision sait
ce qu'il faut de la patience, du temps, pour peindre un beau reve.
Les ailes brillantes de ce tableau d'aquarelle envoutante,
tel le papillon a du attendre, pour s'echapper de sa chrysalide,
a du accepter le noir de sa prison pour se reveiller libre,
pret a toucher le firmament.
Ainsi est l'ame berbere, ainsi est le beau mystere qu'elle partage,
les souffrances d'un coeur grand et libre rendent plus fort, plus fier,
et s'envolent, tot ou tard, haut, aux ailes faites du souffle du ciel meme.
Ne plus prisonnier de personne, pour danser, pour chanter, et lever haut
l'ame d'autrui qui cherche a comprendre, qui essaie de guerir
la blessure immense qu'est le prix de vouloir etre libre sur cette planete.
Trudi Ralston