L'ete avance ici avec la surprise d'une chaleur etouffante, qui me rappelle le Texas, et le Maroc et l'Algerie. Les fleurs du jardin paraissent des ballerines epuisees, avec leurs robes de petales un peu froissees par la brise et l'intensite de la lumiere. Le ciel a un silence turquoise, qui reverbere comme un sol ceramique sous le son un peu hesitant de mes souliers. Le ciel parait comprendre la gravite du monde en ce moment, il y a les rumeurs presque constants ici que tous les abus du commerce mondiale vont mener a une grande depression globale, comme celle des annees 1930. C'est un peu comme etre sur un train de qui les frenes ne fonctionnent plus, et de qui on ne peut pas descendre, par la vitesse accelerante des moteurs et parceque on ne trouve nulle part le conducteur. Ceux qui ont beaucoup ici, se haussent les epaules, et ceux qui ont peu , ou pas assez, souffrent, beaucoup entre eux des jeunes. Depuis mon enfance, l'inegalite sociale m'a frustree, mon pere me disait souvent, " fille, tu dois ecrire, tu dois suivre cette passion que tu as de vouloir comprendre et partager ta passion sur la condition humaine dans ce monde. " Mon pere gagneait bien son pain, il avait vu les souffrances de sa mere comme veuve a 38 ans pendant la Seconde Guerre Mondiale, avec 4 enfants, lui, et ses 3 soeurs, il etait ambitieux, et provenait bien pour ma mere et moi et mon frere et deux soeurs. Sa conscience sociale il n'a jamais abandonnee, a l'usine de carosseries ou il etait vice - president, il insistait sur des conditions tres propres et sanitaires pour les travailleurs, et pour le respect des droits des travailleurs, et il etait un lien indispensable et passionne entre les dirigeants syndicaux et le proprietaire, qui savait mieux que de tricher les travailleurs en presence de mon pere. J'avais des amities avec les enfants de familles qui travaillaient a l'usine, je passais les vacances avec eux, ils jouaient a ma maison, mangeaient avec moi, on allait a la meme ecole du village, je travaillais dans les champs avec leurs meres et soeurs pour la recolte des haricots verts, des pommes de terre. Ce sont parmi les souvenirs les plus heureux de mon enfance, car je detestais les filles snob des industriels autour qui se croyaient trop importants pour associer avec ce qu'elles consideraient "les incultes ". On avait un jardinier, Arthur Naert, qui avait grandi dans le systeme du racisme envers la population flamande, qui avait grandi en pauvrete, et qui comme a peine adulte, avait fait le voyage a pied chaque ete, vers la France pour travailler dans les usines du nord de la France, au debut du XXeme siecle, bien avant la grande depression des annees 1930, souvent dans des conditions dangereuses et deplorables, comme lui et les autres hommes belges etaient des travailleurs saisonnier illegaux, et des accidents etaient communs, meme des morts. Arthur a l'epoque ou il venait travailler au jardin, avait 80 ans, et il aimait beaucoup travailler au jardin, etre dehors, il avait un sourire comme un eclat de soleil, et des yeux penetrants ou jouait une certaine joie profonde et sincere. Il prenait le dejeuner a la table avec mon pere, ma mere et toute la famille, et mon pere lui traitait avec beaucoup de respect. J'adorais quand Arthur racontait des histoires de sa vie, qui etait un melange de bonheurs et tragedies, comme la mort d'un de ses fils dans un accident industriel. Il etait toujours de bonne humeur. Il y a quelques jours, le 12 aout, le photographe Nacer Amari de Tassi Photographie a partage une photo, un portrait en noir et blanc, avec le titre " Une image, Une histoire..." qui a reveillee mon interet, parcequ'elle m'a rappellee a Arthur Naert. Dans une conversation avec le photographe sur le symbolisme du nom de la personne dans le portrait, Akli, sur le nom kabyle et la signification culturelle et mythologique de ce nom kabyle, l'importance de la connaissance de l'histoire d'un peuple m'a touchee. Nacer Amari expliquait le contexte du portrait d'Akli ainsi : " Il s'appelle ' Akli ', qui veut dire esclave en kabyle. Autre fois, et actuellement dans quelques regions kabyles, on donne cette appellation aux nouveaux nes pour chasser le mauvais oeil et les mauvais esprits. L'homme que j'ai en photo est le fils unique de ses parents. Sa maman a perdu trois ou quatre enfants avant lui. C'est pour cela que elle lui a donne ce nom ' Akli ' . " Ce portrait de ce fils unique, avec son regard aux horizons lointains qui parlent de tolerance et de sagesse, me rappelle le fait que mon fils aussi est un fils unique, que comme Akli est une benediction pour sa mere et son pere, mon fils l'est pour moi et mon mari. Mon fils est ne quand j'avais 35 ans, apres 6 ans d'espoir, d'atteintes d'avoir un enfant, et quand il est ne, je me rappelle mon pere qui etait venu de l'etat de Arizona dans le sud des Etats Unis, ou il vivait encore avec ma mere et ma soeur la plus jeune, Ludwina, quand elle etait encore en vie, et il avait les larmes aux yeux : " Que je suis heureuse, ma fille, tu as un fils, apres tants de deceptions et doutes, tu as un fils..." J'ai vu pleurer a mon pere 3 fois, la premiere fois quand j'avais 13 ans, quand son meilleur ami est mort dans notre jardin en Belgique, suite d'un enevrisme cerebral a l'age de 53 ans, laissant une veuve et 5 enfants; la seconde fois quand il a appris le mariage de ma soeur Goedele avec un homme qui en fait etait une erreur notable pour ma soeur, et la troisieme et la derniere fois, quand mon fils est ne, la seule et unique fois que j'ai vu des larmes de joie sur son visage. Le portrait d'Akli " Une image, une histoire ..." evoque exactement ces sentiments, d'une narration sur une culture, sur une vie, sur ce regard de qui le photographe Nacer Amari a su capturer son innocence, et sa resistance et volonte aussi, qui a su generer aussi une emotion sur une part de l'histoire de ma vie. C'est cela l'importance du partage entre cultures, de communiquer ce qui nous unit, les fils de mythologies, des symboles, comme l'importance des enfants, de la fertilite, de la dignite, du respect, du courage, du bonheur. Le monde parait pret a exploter, comme un ballon dans lequel on a mis trop d'eau, et peut - etre, des pieces recuperees apres, le monde va se reconstruire de facon avec un respect envers la communaute humaine, avec des proportions humaines et dignes, comme la structure des villages du monde, comme les villages kabyles et leur effort heroique pour la reconstruction apres les souffrances immenses de la Guerre de l'Independance de 1954 - 1962, contre les horreurs du colonialisme francais qui a terrorise la population de l'Algerie avec leur invasion de 1830, apres ensuite les horreurs de la Decennie Noire de 1991 a 2002. Ma visite aux villages kabyles de Djebla et Iguersafene en septembre 2019, avec l'ecrivain Rachid Oulebsir, a qui je fut introduite par Daewessu Salah du groupe Les Randonneurs des Babors, fut une experience inoubliable pour la beaute des villages et pour l'esprit de resistance et determination visible et palpable de la part de la richesse de l'histoire des villages et de l'accueil genereux de sourires et bonjours, et du partage de pains doux delicieux d'une des femmes a Iguersafene. Ce fut une visite inoubliable aussi pour le partage de la part de Rachid Oulebsir de sa vaste et riche connaissance de la culture kabyle comme ecrivain de grand talent et dedication a la culure et l'histoire. L'art des portraits dans la photographie donne un message profond quand elle se dedique au temoignage, au partage de symboles culturels, aux mythologies, qui aident a dessiner, a definir la vie de communautes qui luttent pour la survie de leur identite, de leur langue, de leurs droits, de leur histoire. La photographie de Nacer Amari a un esprit universel qui sait toucher le coeur au - dela de frontieres culturelles et politiques et qui est aussi tres passionnee quant a la culture berbere de l'Algerie, et cette inclusion permet de communiquer l'urgence pour un monde ou l'identite culturelle est respectee, est vue, est connue. C'est un message tres important, qui sera cruciale quand le monde n'aura plus de choix que de se reconstruire, en faisant attention particuliere aux mythologies de chaque culture, de chaque pays. La machine destructive et obsolete, depassee, caduque que sera finalement le capitalisme demodee, inutile apres avoir epuise le monde et ses ressources avec ses depressions economiques, ses pandemies, ses guerres, ... devra apprendre a nouveau le respect envers autrui, envers la nature, envers la richesse immense de cultures et leurs identites, histoires, mythologies, ou le bonheur et le malheur seront mutuellement d'egales importances dans toutes les centaines de langues et cultures de la terre. Le portrait en noir et blanc d'Akli, avec son image, son histoire, raconte de facon tres urgente l'importance immense de se faire la connaissance d'etre humain a etre humain, flamand, berbere, mongole, sioux, inuit, maya, avec egal respect, egal interet, egale charite et egale chance a la dignite, a la narration et ses significations et importances. Je suis temoin de cette importance, de naissance flamande et ayant grandi en Belgique dans un village ouest - flamand, et ayant perdue mon identite culturelle et linguistique aux Etats Unis pour 40 ans, pour l'avoir retrouvee parmi la nature et l'art des photographes kabyles de l'Algerie, qui m'a permis la chance de retrouver mon identite, ma muse, ma voix, comme poete, comme ecrivaine, je comprends a fond l'importance de l'identite, de la culture d'une communaute cohesive, de ses mythologies, de son histoire. C'est la Kabylie qui m'a redonnee une famille, un chemin a suivre, ceci est d'une signification de grande consequence dans le contexte d'un monde perdu, perdu a cause de la fragmentation brutale d'identite culturelle, de mythologies, partout sur terre. Ce que font les artistes photographes de la Kabylie, comme Nacer Amari est tres important, comme membre d'une generation suivante qui comprend l'urgence du message de leur art : unissons nous pour ne pas etre disperses dans les vents de l'indifference, de l'impuissance machinee par le desespoir et par l'intoxication globale d'indoctrinations soigneusement orchestrees.
Trudi Ralston