Monday, April 23, 2018

La Trahison du Trou Noir : Le Neant Sublime dans la Philosophie Litteraire de Kamel Daoud

" Meursault, Contre - Enquete". Le titre de ce roman avant -garde ne me laisse pas, ni son contenu, dont je devore les pages avec une admiration fievreuse. C'est comme aller au theatre, et noter que quelqu'un a demoli les scenes avant le commencement meme de la piece. Ce livre envahit mes reves, et je dis a toute personne intelligente autour de moi " Il faut absolument que tu lises ce livre, ca va te couper le souffle, c'est tout une revolution. " Je sais de sa conference a Yale en 2016, que l'auteur ressent categoriquement les cliches, alors, je vais simplement dire que son livre m'a pris de surprise, et que je le considere d'un changement litteraire fondamentale. Le livre a su arreter pour un bon moment le monde tel que je pensais le comprendre. Je sens envers son interlocuteur une complicite intense, et le tour de force de " Meursault, Contre - Enquete " est que le fil d 'araignee du discours et son recit attrappe sans pitie les illusions a la peau intellectuelle aussi bien que celles de ses illusions politiques et culturelles. Les illusions du colon meurtrier desequilibre, du journaliste, du revenant -  c'est a dire le fantome persistent de Albert Camus - de la mere, de Moussa et de son frere, tuent avec egale delire, tous victimes de hallucinations destructives . Le neant n'a que sa qualite de sublime pour donner un moment illusoire ou peut se reposer la fatigue et l'amertume mortelle de ses vistimes. La langue dans le livre est deconcertant, est precise, sans pitie, et aussi trempee dans une transe poetique que je ne me rappelle pas avoir rencontre avant, avec tel pouvoir et conviction, sauf dans le roman " Nedjma " de Kateb Yacine, je pense specifiquement a sa description apocalyptique de Constantine, un des passages les plus beaux et les plus agonisants que j'ai jamais lu dans un roman moderne. Kamel Daoud ecrit sans peur, sans hesitation, sans excuses, mais jamais sans la profondeur d'une langue purifiee par les souffrances de l'ame. Un tres bel exemple se trouve sur la page 82 , et parle de la presence epineuse de l'autre dans le mystere qu'est la condition humaine , telle que la percoit le frere de Moussa :
"  Il y a toujours un autre, mon vieux. En amour, en amitie, ou meme dans un train, un autre, assis en face de vous et qui vous fixe, ou vous tourne le dos et creuse les perspectives de votre solitude. "
J'etais dehors, au soleil, quand j'ai lu ces mots. Ce n'etait pas la chaleur du jour qui me trouvais collee sur ma chaise. Avec deux phrases, Kamel Daoud m'avait resume et bouleverse l'univers en meme temps. Avec son livre , l'auteur a pris l'existencialisme non seulement de l'autre bout politiquement et historiquement quant aux abus et horreurs du colonialisme et ses tremeurs reverberantes continues, mais avec deux phrases avait fait une synthese de l'impossibilite ultime et de l'absurdite de nier l'autre dans quoi que ce soit, parceque cet autre, c'est nous. La traitrise du trou noir est ainsi complete, le neant qu'on cree pour l'autre termine tot ou tard, dans l'auto - destruction et inevitablement, le suicide collectif de tout espoir.  L'univers clos dans " Meursault, Contre - Enquete " n'a pas de resolution, autre que le crime envers l'autre fait un cercle. L'arme qui a tue a Moussa devient l'arme qui donne au frere de Moussa la permission de tuer Joseph, inspiree par la logique mathematique de la culpabilite. Le meurtre du francais est le prix egalisant pour le meurtre de Moussa, mais la balance n'elimine pas le neant, ce neant sublime dans l'univers du roman de Kamel Daoud, ce qui explique la presence de cette ligne qui se trouve sur la page 101 :
" D'ailleurs, mon cher ami, le seul verset du Coran qui resonne en moi est bien celui- ci : " Si vous tuez une seule ame, c'est comme si vous aviez tue l'humanite entiere. " L'etranger tue a Moussa, le frere de Moussa tue a un autre etranger, la mere du frere de Moussa tue de sa facon la volonte et joie de vivre de son fils de qui elle ressent le fait qu'il a l'audacite de survivre le meurtre de son frere, et la mort se moque de tout le monde, tout ca parceque la peur et le mepris de l'autre sont plus forts que la vie meme dans cet univers ou l'autre n'est pas le miroir de notre propre mystere aveugle, mais considere un ennemi a detruire , a nier, tel que l'auteur l'a explique si clairement a sa conference a Yale en 2016. Cela continue a m'emerveiller la facon concrete, presque factuelle, dont sait expliquer un mythe si  perplexe et controverse Kamel Daoud, ce mythe de l'autre. On ne peut pas lire son livre sans voir de l'autre bout de la conscience a " L'Etranger " d'Albert Camus, sans re- evaluer la definition de ce que signifie l'existencialisme, le colonialisme, le neant, le mythe de l'autre, l'espoir meme, Dieu, la vie et la mort. On peut ou accepter la blessure grave que donne ce livre a toute illusion de l'ego nevrotique moderne, et accepter apres l'inevitable cicatrice, ou on peut choisir de nier tout. Les blessures font mal, et les cicatrices laissent des marques, mais moi je veux accepter la chance de ce rite de passage bien opportun, pour pouvoir sortir, finalement, du trou noir traitrise de l'ignorance et sa proliferation exponentielle et insidieuse qui risque de nous detruire tous.

L'edition de ma copie de 2016  (Babel, Une Collection de Livres de Poche) du roman de Kamel Daoud, " Meursault, Contre - Enquete " est de : Editions barzakh, Alger 2013, Actes Sud, 2014.  

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