Wednesday, April 25, 2018

" Meursault, Contre - Enquete ", Chapitre XIII : Haroun au Centre du Cercle Sisypheen

" Meursault, Contre - Enquete " est un roman qui a la qualite d'une piece de theatre. Ce n'est pas evident qu'un roman ait cette qualite, je pense a " Nedjma " de Kateb Yacine. La qualite hallunicinatoire du livre de Kateb Yacine est augmente par le fait que le livre termine par les memes phrases avec lesquelles le livre avait commence, qui assure l'effet de mauvais augure comme dans les tragedies des anciens grecs. La structure de " Meursault, Contre - Enquete " est construite sur cette foundation, la premiere phrase du livre est : " Aujourd'hui, M'ma est encore vivante." La deniere page du livre a, vers la fin de la page les memes mots ecrasants : " Aujourd'hui, M'ma est encore vivante. " Le cercle auquel est condamne Haroun n'a ni fin ni debut, et l'epreuve de trouver ou se trouve le point d'ou il est possible de faire un trou et s'echapper rend son prisonnier epuise, hypnotise, aneanti.
Le protagoniste Haroun se trouve dans le cercle d'un huis clos duquel il ne sait pas s'echapper, prisonnier comme il est de son frere absent mort, et de sa mere en deuil perpetuel. Haroun fait un effort heroique pour briser le cercle de ce destin etouffant, mais la seule personne qui aurait pu lui liberer, Meriem, avec qui il decouvre une capacite d'aimer, lui abandonne. Haroun se trouve au milieu du cercle, seul, car sa mere et son frere mort, Moussa, sont incapables de lui joindre, et incapables de lui liberer. Le seul remede pour Haroun est d'essayer de faire l'impossible : trouver ou s'ouvre l'aperture du cercle, pour s'enfuir. Comme il est impossible de trouver ou le cercle commence et ou il finit, Haroun decide que la seule solution est de provoquer : a sa mere, et a la communaute, sachant que cette provocation peut lui detruire, mais a ce point le neant de son etre egale le neant autour de lui, le neant qui est pour Haroun tout autre.
 Le treizieme chapitre du livre, a un segond part qui a le seul titre qui se trouve dans toute la narration : " Meriem ". Ca m'a frappe la segonde fois que j'ai relu le chapitre, par la presence d'emotions brulantes aussi que tendres, qui coupent comme une lame tranchante, et un silence etouffant qui hurle son agonie. On ne peut pas vivre avec passion et fierte sans connaitre un tel amour dont parle Haroun de la profondeur de son ame torturee. Le cercle comme obsession philosophique est un objet et sujet dont parlait deja Platon, et Kamel Daoud explique avec une precision chirurgicale le cercle dans le mythe de l'autre, cet autre qui peut nous devorer, si on tombe dans un cercle d'un autre douteux et sans moyens de s'en defendre ou s'enfuire. La tragedie de Haroun est double : il ne peut pas rester dans le cercle de Meriem, ou il a ete permis, par ce qu'il ne sait pas s'enfuir de sa mere et de Moussa, il ne sait pas briser la prison de son propre cercle, et Meriem se rend compte, et au lieu de lui aider, elle s'enfuit et lui condamne a une perpetuite de solitude. Elle est libre et ne veut pas de l'immensite de l'abime dans lequel se trouve Haroun. Avec elle, il avait une chance de s'echapper definitevement de ce chasme geant qu'est sa vie d'invisibilite tuante. Ce n'est pas la faute de Meriem, et Haroun dit autant : peu sont les personnes, hommes ou femmes, qui savent accepter l'abime dans les yeux d'un autre. Il faut un amour feroce, sauvage, trempe dans une innocence intrepide.
 Ce part du chapitre XIII est decisif, parceque c'est le moment ou la logique implacable du monologue heroique de Haroun atteint son niveau tragique sublime, le moment ou le heros se rend compte de l'absurdite irrevocable de son destin. Rien plus parfait pour se moquer d'un heros que les caprices et insouciances de l'amour, et Haroun en parle de ce mystere qu'est le phenomene de l'amour, et son discours a un gout a la fois amer et touchant.
 Le livre accomplit son but : avec la logique irreversible d'une tragedie de laquelle il est impossible d'echapper les lois severes, le public recoit une lecon intellectuelle et morale, et par l'art de l'auteur et sa maitrise des mots et leur magie, la lecon n'est pas seulement cerebrale, mais aussi emotionelle. L'incision chirurgicale coupe le cerveau, et le coeur, le catharsis de la tragedie est complete. On sort de l'experience altere, purifie par les brulures que le heros a souffert a notre place.
L'introduction qu'a mise Kamel Daoud pour ce livre, une citation de E. M. Cioran de " Syllogismes de l'Amertume ",  ainsi est aussi sa conclusion ultime, parceque le sacrifice de Haroun est plus grand que sa propre misere, elle est la reflection, dans un miroir enorme, de tous les malheurs que souffrent tous les innocents au nom de l'autre et son terreur deguise comme les empires d'interminables arrogances et cruautes :
 " L'heure du crime ne sonne pas en meme temps pour tous les peuples.
Ainsi s'explique la permanence de l'histoire."

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